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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 mars 1840

6 mars [1840], vendredi après-midi

Bonjour donc, mon Toto, vous vous moquez de mon bonjour quotidien, mais moi je ne me moque pas de vos absences quotidiennes, j’en souffre. Vous trouvez le temps d’aller partout excepté chez moi. Vous venez à bout de tout excepté de me donner quelques moments de joie. Enfin tout vous est facile et possible excepté de me donner du bonheur, je ne vous en veux pas mais je souffre. Il fait un temps charmant aujourd’hui, mais comme je sais que tu ne peux pas me faire sortir je ne m’apprêterai pas, je me peignerai à fond et je ferai chercher mes cheveux blancs. Je voudrais bien que tu m’apportassesa à copier cependant je ne veux pas t’imposer mon écriture. Il va sans dire qu’entre le plaisir de copier tes beaux vers et l’ennui de lire mon écriture il n’y a pas de comparaison et je me résigne d’aussi bonne grâce que possible. Donnez-moi votre main, d’ici cela ne peut pas vous gêner. Tâchez de penser à moi et ne me laissez pas toute la sainte journée sans vous voir. Il faudra, si vous le permettez, que j’écrive un petit mot à mon pauvre père [1] pour lui demander de ses nouvelles. J’écrirai peut-être aussi à Mme Krafft mais vous verrez les lettres, ainsi ne vous tourmentez pas. Ce soir, bien décidément, je ferai mes comptes. En attendant je vais me peigner et me pommaderb à votre nez et à votre barbe car aussitôt l’opération faite je mettrai monc ours en lieu de sûreté. Je voudrais bien pouvoir en faire autant de votre personne, vous n’iriezd pas si souvent faire le LION chez les chameaux de la diplomatie ou autres. Baisez-moi toujours et souvenez-vous que je vous aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 236-237
Transcription de Chantal Brière

a) « apportasse ».
b) « pomader ».
c) Entre le déterminant « mon » et le nom « ours », Juliette a dessiné un petit ours.

© Bibliothèque Nationale de France


d) « irier ».


6 mars [1840], vendredi soir, 7 h. ½

Mme Pierceau était sortie comme tu sais pour aller chercher les médicaments pour son fils, en même temps elle est allée chez Mme Krafft pour la prier de lui envoyer le médecin de sa sœur demain matin. Moi, pendant ce temps, je suis restée en tête-à-tête avec le petit garçon ne pouvant pas écrire parce que la clef était ôtée, ne pouvant pas manger une petite croûte de pain parce que la clef était ôtée. Je n’ai pas pu [ôter  ? délier  ?] mon brodequin qui me blessait parce que la clef des savatesa était ôtée, la clef était ôtée de tout. Bref je n’ai pas eu d’autre ressource pour tromper ma faim, pour endormir mon pied, pour donner le change à mon impatience de vous écrire que de penser à vous et de vous aimer de toute mon âme. C’est-y ça qu’est pénible hein ? À présent j’ai la perspective de dîner à 11 h. du soir, voici qu’il est 7 h. ¾ et la soupe n’est pas au feu et le fricot est encore chez le marchand et, et, et je crève de faim et bientôt j’aurai mal à l’estomac et à la tête. Quand je pense que vous auriez pu me donner un très bon dîner et la plus ravissante soirée du bon Dieu qui seb soit vue depuis notre retour [2], j’en excepte celle d’Anacréon [3] et de Ventrebleu, sacrebleu, nom d’un petit bonhomme, les autres sont toutes plus ou moins tronquées et par conséquent toutes plus ou moins parfaites. Enfin c’est très mal à vous de m’accrocher à ce sixième étage sans feu, sans pâte et sans pâté quand vous auriez pu me donner à dîner et du bonheur et de la joie plein mon ventre et plein mon cœur et mon âme. Vous êtes une bête, mon cher petit bien-aimé, je vous aime et je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 238-239
Transcription de Chantal Brière

a) « savattes ».
b) « ce ».

Notes

[1Il s’agit de son oncle René-Henry Drouet.

[2Retour du voyage des mois de septembre et octobre 1839.

[3Un banquet où l’on dit des vers amoureux ou érotiques et où l’on chante. « Au banquet d’Anacréon » était également le nom d’un célèbre restaurant situé au no 53, boulevard Saint-Martin.

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