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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 16 octobre 1852, samedi matin, 7 h.

Bonjour, mon doux amour, bonjour, mon inépuisablement bon adoré, bonjour. Je souhaite que tu aies le temps aujourd’hui de conduire ta charmante fille [1] dans quelque coin inconnu de l’île encore plus curieux que tous ceux que vous avez vus jusqu’à présent. Il est impossible d’avoir un plus beau temps et il est impossible encore de vous désirer plus de bonheur que je ne vous en désire, particulièrement aujourd’hui, à cause de mon bonheur d’hier que je voudrais rendre, à toi et à tous les tiens, au centuple par reconnaissance. Aussi, mon cher petit homme, c’est avec une sorte de joie, composée de tout ce que j’ai de plus tendre et de plus dévoué dans le cœur, que je renoncerai à te voir aujourd’hui pour te laisser plus de temps d’être heureux avec toute ta chère famille.
Je ne sais pas si tu es levé et si tu jouis comme moi de cette belle mer courant au soleil avec un bruit doux et caressant comme une prière et comme un remerciement. Il y a longtemps que je ne l’ai vuea si tranquille et si heureuse. Vraiment on dirait à la voir si limpide, si douce et si gracieuse, qu’elle éprouve le bonheur de se sentir pénétrée et réchaufféeb par le soleil, absolument comme lorsque ton regard réchauffe mon âme. Aussi, à moins d’empêchements tout à fait sérieux, ce serait un crime de ne pas profiter de cette admirable journée pour être heureux. Quant à moi, je me fais un bonheur de vous savoir à même toutes ces joies de la terre, du ciel et du cœur et je t’adore comme mon vrai Dieu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 55-56
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « vu ».
b) « pénétrer et réchauffer ».


Jersey, 16 octobre 1852, midi

Quoique mon sacrifice menace d’être encore plus complet que je m’y étais résignée, mon cher adoré, puisque je ne te verrai même pas ce soir, je n’en persiste pas moins dans mon désir de te savoir heureux sans moi aujourd’hui. Va, amuse-toi, jouis de tous les bonheurs à la fois, depuis celui des yeux et de l’esprit jusqu’à celui du cœur et de l’âme. Moi, pendant ce temps-là, je t’aimerai dans mon coin et je tâcherai d’étouffer mes regrets en pensant que tu me sais peut-être quelque gré de m’effacer si complètement devant tes devoirs de famille et ton plaisir.
J’aurais pu aller à Saint-Hélier sous prétexte de marché mais il m’est impossible de me décider à sortir de ma chambre. Plus je vais et plus j’ai horreur de sortir sans toi. Je ne m’en plains pas, au contraire, et je voudrais n’être pas forcée de vivre quand tu n’es pas là. Cela viendra, je l’espère. En attendant je veux que tu sois très gai, très content et très heureux tout aujourd’hui et que tu ne penses à moi que pour augmenter la somme de ton bonheur. Sinona je veux que tu m’oublies. Il est probable que vous irez chercher vous-même une voiture à Saint-Hélier. Malheureusement ce n’est pas votre chemin de passer devant ma maison. Ainsi, de toute façon il n’y a pas d’espoir pour moi de te revoir avant demain. C’est bien long mais puisqu’il n’y aura que moi qui en souffrirai, tout est bien. À demain donc, mon amour. Amuse-toi bien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 53-54
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « si non ».

Notes

[1Adèle Hugo (1830-1915).

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