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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 3 octobre 1852, dimanche matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour. Mon esprit est toujours à la marée basse pendant que mon amour est toujours à la marée haute. C’est ce qui fait que j’ai si peu de choses à vous dire et tant de baisers à vous donner. Malheureusement vous ne vous en souciez guère, ce qui rend ma mission en ce monde assez négative et parfaitement embêtante. Je ne vous dis pas cela pour vous forcer à m’aimer plus que vous ne pouvez. Je le dis pour constater la chose, voilà tout.
Maintenant, mon cher petit homme, n’oubliez pas que vous dînez en ville ce soir et que je vous verrai un peu moins encore que d’habitude si vous ne me rabibochez pas de quelques bons moments dans la matinée et dans la journée. Si ce n’était pas aujourd’hui jour des lettres à écrire, je t’aurais prié de me faire sortir tantôt mais je sens que cela n’est pas possible. Aussi je rentre ma prière et je me contente de te demander de venir écrire auprès de moi. Si je peux sortir de cette épaissea carapace de stupidité qui m’enveloppe tout entière, j’écrirais tantôt aux Montferrier. Mais je suis si paresseuse et si apathique jusqu’à présent que je ne me sens pas le courage d’écrire un mot à personne. Je ne sais pas si cela tient à mes insomnies mais je suis tout à fait abrutie. Je n’ai que mon cœur de sain et je te le donne tout entier.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 9-10
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « epaiss ».


Jersey, 3 octobre 1852, dimanche après-midi

Le bon Dieu marie ses filles et le diable en profite pour battre sa femme aujourd’hui. De là le soleil et la pluie alternativement et tout ensemble. Il n’est guère probable que vous vous soyez décidéa à une promenade par ce temps capricieux. Aussi vous seriez bien gentil de me faire profiter de votre liberté en venant passer le reste de l’après-midi avec moi. Cependant, mon cher petit homme, si cela ne se peut pas, je te promets de ne pas t’en faire plus grise mine pour cela et d’être aussi reconnaissante et aussi heureuse des quelques minutes que tu me donneras comme de toute la journée entière si tu avais pu me la donner. Je ne sais pas si c’est l’influence du dimanche qui pèse sur moi mais je ne me suis jamais sentie plus bête, plus engourdie et plus aplatieb qu’aujourd’hui. On dirait qu’il y a quelque chose d’éteint en moi. J’ai beau vouloir me rallumer, je n’y parviens pas. Tous les efforts que je fais n’aboutissent qu’à me convaincre de mon ineptie sans y remédier. Je compte sur toi pour me tirer de cette espèce de léthargie morale qui ressemble à de l’imbécillité à s’y méprendre. En attendant, je me résigne à cette grotesque paralysie et je me dépêche de te donner tout mon cœur et tout mon amour pendant que je suis encore un peu éveillée. Tâche de venir bien vite, mon petit homme, si tu ne veux pas me trouver tout à fait éteinte.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 11-12
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « décidés ».
b) « applatie ».

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