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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 11 novembre 1852, jeudi matin, 8 h.

Bonjour mon petit bien-aimé, bonjour mon cher adoré, bonjour. Est-ce que vous aurez encore des visites à faire aujourd’hui ? Ce genre nouveau, mais bête, ne me va [pas] et je demande qu’on ne le continue pas ou je me RALLIE tout de suite. D’ailleurs, il ne fera pas un temps propice aux visites et aux promenades aujourd’hui, je ne le crois pas. Je demande que vous m’en fassiez profiter en venant travailler auprès de moi. Est-ce que c’est Jujuste ce que je vous dis là ?
Ce que c’est que de demeurer parmi des sauvages stupides. On a mis à la mer ce matin, quelques instants avant que je me levasse, le petit bâtiment que j’avais vu achever de construire. Si j’en avais été avertie hier, j’aurais eu le plaisir de le voir lancer, mais j’ai des hôtes si absurdes qu’ils sont incapables de me faire le plus léger plaisir à force de stupidité. Le journal de Jersey [1] annonce qu’après-demain matin on lancera le brick dont nous avons admiré la statue et le ventre allégorique du Jersiais qui le prend sous sa protection en passant avant hier. Ce sera après-demain matin à la marée. Mais à quelle heure ? Voilà la question. Si le cœur t’en dit, nous pourrons nous en informer aujourd’hui et nous donner ce petit spectacle terminé par un déjeuner d’huîtres à Gorey ! L’appétit vient en mangeant… du brick de 350 tonneaux. Cependant je me contenterai de lui tout seul pour ne pas effaroucher votre sobriété d’anachorètea. Je me contenterai même de vous tout seul, sans le moindre tonneau. Vous voyez que je sais vivre et faire de mon Toto vertu. Quel tour de forces !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 151-152
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « anachorette ».


Jersey, 11 novembre 1852, jeudi après-midi, 1 h. ½

Mon cher petit bien-aimé, je vous offre un abri bien chaud, bien tranquille et bien doux où vous pourrez travailler en paix si le cœur vous en dit. La plus bête Juju du monde ne peut offrir que ce qu’elle a. Mais vous seriez mille fois adoré en plus et en surplus si vous acceptiez l’offre tout de suite et sans vous faire désirer plus longtemps. Je viens de voir passer le général Le Flô, lequel se rend probablement chez toi ; que le diable l’emporte de venir déranger toutes mes espérances. Comme si tous ces gens-là n’avaient pas les soirées pour aller te voir sans attenter à mes jours. Je suis un peu furieuse et beaucoup très triste car je prévois que cette journée ne sera pas beaucoup plus heureuse pour moi que celle d’hier. Je ne t’en veux pas à toi car je t’aime comme un chien dont j’ai le sort, mais je bisque contre tous les mal avisés qui t’empêchent de venir chez moi aux heures où tu pourrais y venir sans te gêner. Aussi mon cher petit homme, j’insiste le plus que je peux sur le déjeuner à Gorey samedi si le temps le permet. Hélas ! J’en doute car c’est aujourd’hui nouvelle lune, laquelle s’annonce assez mal. Enfin, mon doux adoré, quoi qu’il arrive, je tiendrai compte de ta bonne volonté et je tâcherai de remplacer le bonheur avec la pensée de l’empressement ineffable avec lequel tu t’étais rendu d’avance à ma prière. D’ici là mon Victor bien-aimé, je te donne un long baiser sans solution de continuité.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 153-154
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Le Constitutionnel de Jersey ou La Chronique de Jersey.

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