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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 28 août 1852, samedi matin, 7 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour mon doux adoré, bonjour. Si la pluie fine et le brouillard épais à ce moment de l’année et à cette heure-ci de la matinée sont un signe de beau temps pour le reste de la journée, certes, tu auras un bien beau soleil pour ta nouvelle excursion de Gorey [1]. Du reste, je vois que vous y prenez goût, tous tant que vous êtes. Je ne m’en plaindrais pas, si je pouvais partager ces plaisirs avec vous. Je ne m’en plains même pas autrement car j’ai besoin pour être heureuse moi-même de vous savoir tous contents et heureux. Tous ces pauvres êtres ont acheté assez cher et pendant beaucoup trop longtemps le droit de s’amuser et de vivre en liberté avec le soleil sur la tête et la joie dans le cœur. Tâche seulement de détacher quelques minutes dans la journée pour me les donner car je ne vis vraiment que quand tu es là. Tout le temps que tu es absent, je suis dans une espèce de léthargie morale et presque physiquea, le plus souvent douloureuse et toujours triste. Mon Victor bien aimé, non seulement tu es la lumière de mes yeux et le soleil de mon âme, tu es aussi le sang de mon cœur qui circule ou qui s’arrête selon que tu t’éloignes de moi. Va, sois heureux, amuse-toi, mais tâche de venir me voir avant et après ta charmante petite promenade. Tâche encore de ne pas trop m’oublier pendant et puis, sois-moi bien fidèle de corps, de pensée et de cœur. À cette condition je te permets de regarder tous les visages féminins que tu rencontreras sur ton chemin.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 253-254
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « phisique ».


Jersey, 28 août 1852, Samedi matin, 10 h. ½

Je ne m’étais pas trompée, mon cher petit homme, sur les pronostics du temps ce matin ; il fait un temps ravissant et tout à fait propice à la promenade. Profites-en, mon bien-aimé, donne à ton corps la santé et le bonheur à ton cœur. Tâche de m’aimer toujours un peu. Moi, pendant ce temps-là, j’irai à la ville faire quelques emplettes nécessaires parmi lesquelles la flanelle pour chemises. Je n’ai pas besoin de te dire que je ferai pour le mieux, dans l’intérêt de notre sécurité présente à et venir. Il n’a pas dépendu de moi de retarder davantage cette dépense tout à fait nécessaire à ma santé car je suis aussi pénétrée que toi-même de la difficulté financière de notre position. Et j’ai, de plus que toi, le scrupule de ne pas vouloir peser sur ta vie au-delà du strict nécessaire. Aussi, mon cher petit homme, je t’assure que je vais faire tout mon possible pour réduire cette dépense à sa plus simple expression. Mais j’espère te voir d’ici-là. Il fait si beau, nous sommes si prêts et tu es si bon, qu’il n’est pas probable que tu me refuses la consolation de te voir d’ici à ce soir. J’y compte, mon doux adoré, et ce serait pour moi une bien douloureuse déception si tu ne venais pas.
J’ai ourlé ce matin ton mouchoir [pavillon ?] pour qu’il ne s’effiloche pas par les bords. Maintenant tu pourras t’en servir sans crainte de le déchirer. En attendant je te le garde. J’ai oublié hier de te donner un anneau en fer oxydéa que j’ai trouvé dans le grand rocher à l’extrémité de ta baie. Cet anneau est de la grosseur et de la forme de ta bague d’or et pourrait au besoin la remplacer. Je l’ai porté en chevalière toute la soirée. Je te la donne car c’est la première épave que la providence m’envoie, et je ne trouve rien de mieux que de te la consacrer en attendant qu’elle m’envoie un gros trésor que je garderai pour moi seule. Voime, voime, Juju en est fort capable.

BnF, Mss, NAF 16371, f. 255-256
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « oxidé ».

Notes

[1Gorey : Charmant petit port situé sur la côte est de l’île de Jersey dominé par la forteresse de Montorgeuil.

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