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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1851, 7 juillet, lundi matin, 7 h.

Bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour. Je t’aime et toi ? Comment as-tu passé la nuit, mon bon petit homme ? Cette fameuse soupe auxa choux ne t’a pas fait mal je l’espère ? Quant à moi, la joie m’avait redonné un appétit que j’avais oublié depuis 10 jours, aussi me suis-je ressentie toute la nuit d’avoir cédé à cette fausse faim. Mais je ne m’en plains pas et je suis prête à recommencer tout de suite pourvu que ta chère petite goinfrerieb tienne tête à la mienne.
Mais quelle ravissante surprise, mon bien-aimé, et combien j’étais loin de m’y attendre. Merci, mon Victor, merci, mon divin bien-aimé, merci. Je suis bien heureuse. Tâche de l’être un peu de ton côté pour servir de contrepoids à mon bonheur qui m’emporte jusqu’au septième ciel.
Il fait un temps à souhait ce matin pour ta chère santé. Un peu de ménagement et de repos et cette vilaine et beaucoup trop longue indisposition disparaîtra pour ne plus revenir jamais. Aiec le courage de t’éloigner de cette dévorante politique pendant un certain temps, mon cher petit homme, et tu te guériras entièrement. Il m’est impossible de songer à autre chose qu’à ta pauvre chère santé, mon ineffable bien-aimé, c’est une préoccupationd qui absorbe toutes les autres comme t’aimer este l’occupation de toute ma vie. Le reste est plus ou moins accessoire et ne compte le plus souvent dans mon existence que comme ennui et importunité. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, voilà la cause, l’effet et le but de ma vie.

Juliette

Leeds
BC MS 19c Drouet/1851/47
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « au ».
b) « goinffrerie ».
c) « Aies ».
d) « préocupation ».
e) « es ».


7 juillet [1851], lundi matin, 11 h.

Quelle belle journée, mon Victor, et comme il ferait bon vivre ensemble dans quelque coin bien vert, bien tranquille et bien loin de tout regard, quel ravissement et quelle extase d’épanouir mon âme sous le rayon de tes yeux, d’écouter ta voix et de respirer ton souffle. D’y penser tout mon être frissonne de désir et d’amour, je voudrais être déjà morte pour qu’aucun obstacle matériel n’existe plus entre nous. Je voudrais être l’atmosphère qui t’enveloppe, l’air que tu respires, l’arbre qui se penche quand tu passes, l’herbe que tu foules quand tu marchesa, l’oiseau qui chante au rebord de ta fenêtre, la fleur qui te plaît, le papillon qui distrait ton regard, le nuage qui te fait rêver. Je voudrais être tout l’horizon de ta vie comme tu es le monde tout entier pour la mienne. Je voudrais………….b Mais à quoi bon énumérer tous ces désirs et tous ces souhaits qui se multiplient à l’infini comme mon amour ? Mieux vaut s’en tenir au bonheur de savoir que tu vas être bientôt guéri. Cette espérance me tient lieu de toutes les joies chimériques que je rêve, savoir que tu ne souffres plus sera pour moi la suprême félicité. Dépêche-toi de me la donner, mon cher bien-aimé, et puis sois béni car tu es bon, tu es beau, tu es sublime et divin. Je voudrais écrire ces mots en lettres de flamme pour les faire rayonner aux yeux de tout le monde comme ilsc rayonnent dans mon âme. Mon dieu, je sens que j’exprime bien mal le sentiment que je sens si bien mais qu’importe que la forme soit indigne du fond. L’arbre tout difforme mais vivant et plein de sève ne vaut-il pas autant que la plus belle planche sculptée ?

Juliette

Leeds
BC MS 19c Drouet/1851/48
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « marche ».
b) Les points de suspension courent jusqu’au bout de la ligne.
c) « il ».


7 juillet 1851, lundi soir, 10 h.

Ce que j’avais prévu arrive, mon pauvre bien-aimé, et beaucoup plus tôt et beaucoup plus douloureux que je ne le craignais tout d’abord. Cette nouvelle crise annonce-t-elle ma prochaine guérison, je n’ose pas l’espérer car je sens que mon mal est incurable. Je te le dis dans toute la sincérité de mon désespoir. Je ne peux ni ne veux te tromper mon pauvre bien-aimé, et mon inquiétude, loin de diminuer, ne fait qu’augmenter de minute en minute. Je souffre tous les supplices de la jalousie la plus humiliante et la plus poignante qui soit. Je sais que tu as adoré pendant sept ans une femme que tu trouves belle, jeune, spirituelle accomplie. Je sais que sans la brusque révélation de cette femme elle serait encore ta maîtresse préférée. Je sais que tu l’as introduite dans ta famille, qu’elle vit dans ton monde, que tu peux la rencontrer à chaque instant, que tu lui as promis de continuer des relations intimes, au moins extérieurement. Je sais tout cela et tu veux que je vive en sécurité ? Mais il faudrait que je fusse la plus sotte ou la plus insensée des créatures pour cela. Hélas ! Je n’en suis que la plus clairvoyante et la plus malheureuse.

Minuit

Cher bien-aimé, grâce à toi, grâce à ta tendre persévérance et à ton inépuisable et ineffable bonté me revoici de nouveau, et j’espère cette fois pour toujours, la Juju raisonnable, confiante et heureuse du bon vieux temps. Mais, pour que je pousse mon cri de guerre d’autrefois, il faut que tu ne souffres plus, mon pauvre petit homme, que tu sois fort comme trois Turcs et que tu m’aimes comme cent Suisses. À cette condition quel bonheur ! quel bonheur ! quel bonheur !!!!!! Mais en attendant ce fortuné jour tâche de bien dormir cette nuit, de n’être pas plus souffrant demain et pardonne-moi de t’aimer trop.

Juliette

BnF, Mss NAF 16369, f. 103-104
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Souchon]

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