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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 12 février 1852, jeudi après-midi, 3 h. ½

J’ai fait ce que tu as voulu mon Victor, je suis sortie. Mais mon obéissance ne me porte pas bonheur car je reviens plus oppressée et plus triste après ma promenade qu’avant de l’avoir commencée.
J’ai rencontré Dumas et Mlle Constance qui allaienta chez toi. Je les ai enviés d’avoir cette liberté de te voir quand bon leur semble. Il n’y a que moi au monde à qui cette faveur soit interdite. Les curieux, les indifférentsb, les désœuvrés ont le droit de te voir tous les jours. Moi dont tu es plus que la vie je suis exclue de ce droit commun. Autrefois tu n’aurais pas souffert cette injustice et tu ne t’en saurais pas rendu complice. Maintenant tu ne t’aperçois même pas de ce qu’il y a de cruel et d’inique dans cette espèce de reniement de ma personne. Tu ne t’aperçois pas que tu ménages ton amour-propre aux dépensc de mon pauvre cœur. Je te pardonne mais c’est bien douloureux. Non, je ne veux plus sortir, je ne sortirai plus seule. Je le jure devant Dieu. Je ne veux pas me prêter à cette mauvaise action d’un homme qui renie une femme. Je veux te laisser toute cette odieuse responsabilité. Tu en feras ce que tu voudras.
Je suis passée sur ta place tantôt. La boutiquière était à son poste et les beauxd fils aussi. J’espérais te voir à la fenêtre mais tu étais occupé au fond de la chambre ou sorti. Enfin, je ne t’ai pas vu. Cela m’aurait pourtant fait grand bien. Mais ce n’est pas ta faute si je mets tout mon bonheur sur une chance aussi impossible.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 87-88
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « allait ».
b) « indifférens ».
c) « au dépend ».
d) « beau ».


Bruxelles, 12 février 1852, jeudi après-midi, 4 h.

Encore une méchante lettre, mon pauvre Victor, encore des amertumes injustes, encore des récriminations absurdes tout cela pour avoir voulu faire une chose à contrecœur Je t’assure, mon bien-aimé, que mes promenades, loin de m’être salutaires, suffiraient pour me donner une maladie de cœur si je ne l’avais pas. Ainsi si tu tiens à ce que je vive c’est-à-dire à ce que je t’aime un peu plus longtemps sur cette terre n’insiste pas pour que je les fasse. Quand je pense pour qui et pourquoi tu m’infliges une pareille torture il m’est impossible de croire que tu m’aimes. Je dis plus, il m’est impossible de penser que ta sensibilité et ta pitié pour moi ne soient pas tout à fait blasées puisque tu ne sens pas le mal que tu me fais. Certes je ne me suis jamais imposée à toi au point de vue du respect humain. Je me rends la justice que je n’ai jamais rien exigé de toi qui pût nuire à ton repos, à tes intérêts et à ta gloire. Il n’y a donc pas de raison pour que je commence maintenant. Mais quand je vois ces rues désertes, ce parc solitaire, je me demande à qui et pourquoi tu fais le sacrifice de ma santé et de mon bonheur, et je ne le trouve pas. Il faut que le motif qui te pousse à cette inutile cruauté soit bien petit ou bien honteux puisqu’il se cache à ma tendre sollicitude. Enfin, quel qu’il soit, il existe et je le respecte à la condition qu’il respectera à son tour ma répugnance invincible à me soumettre à cette espèce de flétrissure imméritée. Si tu pouvais voir ce que je souffre, mon pauvre Victor, loin de me forcer à sortir sans toi tu me demanderais à genoux de n’en rien faire ne fût-ce que pour t’épargner aux yeux du bon Dieu la responsabilité de ma mort dont ces crises avancent le terme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 89-90
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

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