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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 4 décembre 1852, samedi matin, 9 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon pauvre enrhumé, comment vas-tu ce matin ? D’après l’état où je t’ai laissé hier au soir, tu dois être bien fatigué et bien enchifrenéa aujourd’hui. Pauvre petit hombeb, cela s’ajoute fâcheusement à ton travail, aussi je ne suis pas disposée à trouver la chose drôle malgré le charme et l’éloquence de ton dezb. Ceci devrait te convaincre de la nécessité d’avoir des vêtements chauds et des chaussures imperméables mais je crains bien que cette maussade expérience ne serve pas à grand-chose, et que tu n’en continues que de plus belle tes pérégrinations sous le brouillard et dans les goémonsc en costume d’été. Après cela tu devrais y être habitué car tu n’en asd jamais eu d’autre, que je sache. Tu trouves que ce qui te fait beau l’été te tient chaud l’hiver et réciproquement [1]. Tant pire pour les rhumes mal avisés qui se permettent de hanter ton cerbeaub et de pénétrer dans ta gorge, cela ne te regarde pas. En somme il faut bien que tout le monde vive. Voime, voime tout cela est très spirituel vraibentb et vaut bien la fièvre que tu t’incarnes avec grâce. Taisez-vous, bonstreb de Toto. Chauffez-bousb, soidiez-bousb, et venez le plus tôt possible pour que je vous [bouche ? baiche ?b].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 229-230
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « enchiffrené ».
b) Orthographe mimant le rhume de Victor Hugo.
c) « gouëmons ».
d) « n’en n’as ».


Jersey, 4 décembre 1852, après-midi, 2 h.

Je te désire, mon Victor, et je t’attends. Mais ce n’est pas une raison pour que tu viennes, je n’en fais que trop l’expérience tous les jours. Après cela, mon pauvre adoré, ce n’est pas le moment d’être exigeante, aussi ne le suis-je pas. Je t’aime, je t’attends, voilà tout. Quand je dis voilà tout, je n’oublie pas l’admirable et la durable compensation que tu m’as apportée hier et dans laquelle je vais me délecter tout à l’heure. Je me serais donné ce bonheur beaucoup plus tôt si ce n’avait pas été justement aujourd’hui ma peignerie à fond. Et, quelque diligence que je fasse, j’en ai toujours pour toute la grande matinée. Il est vrai que si tu attendais après j’ajournerais très bien le nettoyagea de ma queue sans le moindre scrupule.
Cher petit homme, quel stupide gribouillis et comme tu dois bien t’applaudir de ton entêtement à m’en demander deux par jour. Voime, voime il y a de quoi mais en attendant tu ferais bien, par bonne précaution, de les jeter au feu avant de débarbouiller ton pauvre nez enchifrenéb dans cette broussaille d’ineptie. Voilà un bon conseil que je vous donne, mon pauvre amour. Faites-en votre profit et aimez-moi par-dessus le marché.

Juliette


BnF, Mss, NAF 16372, f. 231-232
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « nétoyage ».
b) « enchiffrené ».

Notes

[1Citation déguisée de Ruy Blas, où don César évoque un pourpoint dérobé « qui [lui] tient chaud l’hiver et [l]e fait beau l’été » (Acte I, scène 2).

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