17 avril 1881

Paris, 17 avril 1881, dimanche matin, 7 h.

Encore une fichue nuit pour toi, mon pauvre bien-aimé, ce qui n’est pas juste et encore moins consolant pour moi qui ai doublé mon insomnie de la tienne. De guerre lasse et en désespoir de cause pour toi et pour moi, je suis venue me réfugier ici où, à défaut de sommeil et de bons rêves, je te rabâche mon éternel et sempiternel amour que tu connais, du reste, mais dont, moi, je ne me lasse pas.
Autre guitare, étant donné le jour de Pâques et le temps merveilleux qu’il fait, il est peu probable que nous puissions nous promener en voiture aujourd’hui. Mais étant donné aussi les lettres à répondre et la journée du bon Lesclide à utiliser, je crois que nos arrêts forcés peuvent être bien employés pour peu que tu le veuilles.
Une lettre de la questure du Sénat qui t’informe de la mort de Baze [1] et de son enterrement qui aura lieu mardi prochain à l’Église Saint-Augustin, sa paroisse. Il était âgé de 82 ans, dit la lettre de faire-part de la famille. C’était un bon et honnête homme, ce qui devient de jour en jour plus rare et qui a eu l’insigne et courageux honneur de résister à l’homme du 2 Décembre [2]. J’espère que cela lui sera compté dans le monde des âmes comme grande vertu.
Je ne sais pas pourquoi je te parle si longuement de ce brave homme que j’ai à peine entrevu pendant sa vie quand j’ai tant de choses tendres à te dire sans pouvoir jamais aller jusqu’au bout.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16402, f. 82
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette