4 novembre 1841

5 novembre 1841

4 novembre [1841], jeudi après-midi, 3 h. ¾

INTERNELLE CONSOLACION [1] ou la boîte à volets, je ne sors par de là. Ainsi, si d’ici à minuit vous ne m’avez pas apporté la susdite INTERNELLE, la boîte à volets m’est acquise en toute propriété [2]. Ia ia monsire, zi zi il êdre gonfance endre fous et moi.
Où alliez-vous donc si pressé que ça tout à l’heure ? Je me doute que c’est à quelque rendez-vous de FAUMES mais prenez garde à vous et relisez la vengeance du Messager [3]. Vous ne m’avez rien donné à copier, pôlisson, pourquoi ça ? Vous voyez pourtant bien que je me dépêche tant que je peux et je vous défends de donner à copier à MANZELLE Didine, c’est bien assez qu’on lui donne toutes les jambes de poulets sans encore lui donner mon TRAVAIL.
Tâchez en outre de gagner votre procès parce que ça ne m’arrangerait^a que tout juste si vous le perdiez comme un péteux que vous n’êtes pas [4]. Et puis, je voudrais bien aussi aller à Hernani la prochaine fois qu’on le donnera, si ça n’est pas trop abuser^b de votre complaisance [5]. Baisez-moi.
Dites donc, Toto, il me vient une idée, si je….. vous fichais des coups, il me semble que je serais dans mon droit et que vous n’auriez pas le plus petit ouf à dire. Vous savez que je n’ai plus que jusqu’à minuit pour être définitivement et sans appel^c mise en possession de ma chère petite boîte à volets. L’Internelle Consolacion viendra plus tard. QUEL BONHEUR ! QUEL BONHEUR ! QUEL BONHEUR ! Voilà mon opinion.
Dites donc, scélérat, je voudrais savoir où vous êtes en ce moment-ci, ce que vous faites, ce que vous dites et ce que vous pensez. J’ai bonne envie de croire que vous êtes en bonne PHORTUNE et de vous repasser une bonne volée à l’ombre de cette supposition, mais j’aime encore mieux supposer que vous êtes le plus honnête et le plus fidèle des Toto et vous donner tout mon cœur dans un baiser. Ne soyez pas longtemps sans revenir me voir et vous serez un bon petit Toto comme vous êtes déjà un charmant petit homme bien-aimé, bien désiré et bien adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 89-90
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « m’arrangerais ».
b) « abusé ».
c) « apel ».

Notes

[1] Le livre de l’Internelle Consolacion est une version française de L’Imitation de Jésus-Christ, œuvre anonyme de piété chrétienne de la fin du xive siècle ou du début du xve siècle.

[2] Juliette parle d’une petite boîte à tiroirs qu’elle réclame depuis le début de l’année, et que Hugo a promis de lui offrir pour le nouvel an. Elle la recevra finalement en avance le 19 novembre.

[3] Une anecdote qu’elle a lue le 29 octobre dans Le Messager a déjà donné l’occasion à Juliette de menacer Hugo en cas d’infidélité.

[4] Lucrezia Borgia de Donizetti, créée à Milan en 1833, est jouée au Théâtre-Italien à la fin du mois d’octobre 1840. Hugo fait arrêter ces représentations en février 1841, après avoir refusé à Étienne Monnier le droit de publier sa traduction en français du livret ; mais Monnier était passé outre. Hugo menace les directeurs de théâtres parisiens et de province d’un procès en contrefaçon s’ils représentent l’opéra. Les théâtres de Metz, Nancy et Lyon ayant bravé cet avertissement, Hugo, soutenu par la SACD, intente un procès en contrefaçon contre le traducteur, l’éditeur de musique et le directeur du théâtre de Metz. Hugo et son avocat Paillard de Villeneuve gagnent leur procès. Après l’appel, le jugement définitif est prononcé le 5 novembre 1841.

[5] Hernani a été repris tout le mois de juin 1841 au Théâtre-Français avec Beauvallet dans le rôle d’Hernani et Emilie Guyon, qui faisait ainsi ses débuts, dans celui de doña Sol.