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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 juillet [1841], jeudi matin, 11 h. ¼

Je t’écris tout de suite une grande lettre, mon amour, parce que c’est aujourd’hui jour du frotteur [1], parce que j’ai à copier et parce que peut-être nous mèneras-tu au feu d’artifice ce soir [2]. Comment vas-tu, mon bien-aimé ? Comment vaa ta chère petite tête ? J’espérais que tu viendrais ce matin déjeuner avec moi mais je me suis trompée comme cela ne m’arrive que trop souvent. Pauvre petit homme bien-aimé, ce n’est pas pour te tourmenter, mon chéri, que je te dis cela, c’est parce que je t’aime et que je voudrais toujours te voir et te baiser.
Tu auras ta copie tantôt quand tu viendras parce que je vais me dépêcher de faire faire mon ménage et de m’habiller. Il fait beau aujourd’hui, tu dois avoir moins mal à la tête [3]. J’ai une nouvelle poupée dont Mlle Dédé profiterab probablement car elle manque à sa collection [4]. Je la lui donne d’avance, à la scélérate, mais je ne vous dirai pas l’âge du capitaine Lambert [5]. Arrangez-vous là-dessus, c’est un parti pris et repris. Il n’y aurait que la boîte à volets [6] qui pourrait me délier la langue à l’exemple de Saint-Thomas d’Aquin. Bos mutus [7]. Sinon non, je garde le silence le plus obstiné et vous ne saurez pas l’âge du capitaine Lambert. Jour Toto, jour mon cher petit o, je vous aime malgré VENT et marais [8]. Convenez que vous êtes un fameux cochon et je vous pardonne, ce que je ne vous pardonne c’est d’avoir la lâcheté de nier vos turpitudes. Baisez-moi, affreux bonhomme, n’ayez plus mal à la tête et venez bien vite auprès de moi. Je vous aime, je vous adore qu’on vous dit. Baisez-moi encore toujours sans désemparer. Toto je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 99-100
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « vas ».
b) « profiteras ».

Notes

[1Très régulièrement, Juliette fait entretenir ses parquets par un « frotteur » qui les cire et les rend luisants.

[2La Presse précise le déroulement de ces festivités en commémoration des Trois Glorieuses de la Révolution de Juillet : « Durant les journées des 27, 28 et 29 juillet, trois grands mâts portant des bannières aux couleurs nationales seront dressés sur le terre-plein du Pont-Neuf. […] Le 29 juillet 1841 : des salves d’artillerie seront tirées à l’hôtel des Invalides, à six heures du matin et à six heures du soir. Dans le Grand-Carré des Champs-Elysées et à la barrière du Trône, depuis deux heures jusqu’à la nuit, représentations de pantomime ; militaires, orchestres de danse, mâts de cocagne garnis de prix. À trois heures, joute sur l’eau dans le bassin de la Seine entre le pont Royal et le pont de la Concorde. À sept heures, concert d’harmonie dans le jardin des Tuileries. À partir de la nuit, grande illumination dans l’avenue des Champs-Elysées. La Colonne de Juillet, ornée d’une bannière, le Panthéon, la Madeleine, l’Arc-de-Triomphe de l’Étoile et les autres édifices publics seront en outre illuminés. À neuf heures, il sera tiré un grand feu d’artifice sur le pont de la Concorde et sur le quai d’Orsay, vis à vis le jardin de la chambre des députés. Un autre feu d’artifice sera tiré en même temps à la barrière du Trône. On débarrassait aujourd’hui le bassin du Pont-Royal pour les joutes qui s’y feront jeudi ».

[3Victor Hugo affectionne le beau temps chaud, raison pour laquelle Juliette l’appelle « mon petit ver à soie ».

[4Juliette lui offrira en effet cette poupée, qu’elle baptisera Gobéa du nom de la plante grimpante, la semaine suivante.

[5Plaisanterie de Victor Hugo à Juliette qui revient à plusieurs reprises aux mois de juillet, août et septembre. Ce problème d’écolier est une plaisanterie commune pour moquer les problèmes insolubles posés aux élèves.

[6Juliette exigera cet objet – que Hugo lui promettra comme cadeau de fin de l’an ‒ toute l’année et l’obtiendra enfin le 19 novembre.

[7Saint-Thomas d’Aquin était connu pour être d’une stature vigoureuse, mais aussi très silencieux et réservé, et il était donc surnommé « le Bœuf Muet », Bos Mutus, par ses camarades. Mais Juliette fait surtout ici référence à un extrait de la lettre XX du Rhin, « De Lorch à Bingen » : « Ces montagnes sont les mêmes qui s’émurent quand le prince Thomas d’Aquin, si longtemps surnommé bos mutus, poussa enfin dans la doctrine ce mugissement qui fit tressaillir le monde : “Dedit indoctrina mugitum quod in toto mundo sonavit” ». 

[8Cette orthographe est volontaire. C’est un jeu de mots récurrent sous la plume de Juliette.

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