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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 avril [1841], mercredi, 11 h. ½

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher petit homme. Je devrais vous bouder et vous faire la grimace sur votre escapade d’hier mais je suis bonne et je vous pardonne à la condition que cela ne vous arrivera plus, pas même dans le couloir, pas même à la porte extérieure. Je ne le veux pas, je ne le veux pas, entendez-vous ?
C’est aujourd’hui que nous reconduisons cette pauvre Clarinette, après le dîner bien entendu. Plus tard on la rebouclera et mieux ce sera ; on peut entrer dans l’établissement jusqu’à neuf heures et demie. Ainsi en venant nous chercher à huit heures et demie, ce sera très bien. Si tu veux dîner avec nous ce sera ravissant et nous serons les plus heureuses FAUMES de dessous la calotte des cieux. [1]
Il paraît que le temps est encore mauvais ce matin, quel ennui ! Quel affreux pays de pluie et de froid ! Pour moi je suis sûre que c’est ce qui me donne si mal à la tête. Que le diable emporte le temps, la tête et la stupidité qu’il y a dedans. Je vous aime vous, ça n’est pas trop la peine car vous êtes un affreux bonhomme qui ne savez que dire des bêtises et que me chatouiller. Je vous détesterais si je pouvais. Voime, voime, taisez-vous toujours en attendant. Quand aurez-vous fini votre discours ? Je suis impatiente d’entendre l’autre moitié, je vous en préviens [2].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 47-48
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette


14 avril [1841], mercredi soir, 4 h. ¼

Bon petit homme chéri, quand viendrez-vous ? Je vous aime, je vous désire, je vous attends et je vous espère. Nous sommes sous les armes [3] Clairon et moi mais cependant nous désirons bien que tu ne la reconduisesa que ce soir, ce sera toujours autant de moins de soupe et de bouilli d’école, ce qui est une considération majeure. Du reste, voici qu’on fait son paquet.
Jour mon cher petit homme, quel froid de loup ! J’ai presque l’onglée aux pieds, vraiment si ce froid continue nous serons forcés d’acheter du bois encore, ce qui sera peu récréatif. Enfin, qui vivra verra et grelottera. Jusque là aimons-nous et soyons très heureux si nous pouvons.
Je vous ai fait acheter de l’élixir [4], j’ai mis les 220 F. du loyer et des impositions de côté, il me reste à peu près 30 F. pour tout potage et demain j’aurai la lampe raccommodéeb à payer. Ainsi, mon pauvre adoré, les 500 F. de Guyot [5] n’auront fait que paraître et disparaître sans avoir pu même payer la pension de Claire. Je ne sais pas trop comment tu feras, mon pauvre bien-aimé. Je t’offre toujours si peu, que j’ai par exemple le nécessaire en argent. Si tu le veux ça ne me sert pas et ça peut être un prétexte pour avoir quelques sous. C’est de bon cœur [6]. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16345, f. 49-50
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « reconduise ».
b) « racommodée ».

Notes

[1Claire est pensionnaire d’un établissement de Saint-Mandé depuis 1836 et elle est arrivée l’avant-veille au soir pour passer chez sa mère ses deux jours de congé. D’ordinaire, ce sont les Lanvin qui se chargent d’aller chercher la jeune fille et de la ramener à la pension. Le fait que Juliette et Hugo s’en occupent ce soir-là est donc très inhabituel mais en plus, pour une raison inconnue, le départ de Claire sera repoussé au lendemain.

[2Victor Hugo a été élu le 7 janvier 1841 à l’Académie française, et sa grande cérémonie de réception, à l’occasion de laquelle il doit prononcer un discours sur lequel il travaille depuis le 19 mars, est prévue pour le 3 juin 1841. Le cérémonial consiste en un discours prononcé par le nouvel académicien, (discours déjà auditionné par un comité de lecture restreint), et devant faire l’éloge de l’académicien disparu dont il va dorénavant occuper le fauteuil. Ainsi Victor Hugo, qui accède au fauteuil 14 de l’Académie, doit faire l’apologie d’un de ses plus fermes opposants, Népomucène Lemercier, et quelques jours avant, dans la nuit du 10 au 11 avril, il a lu la première partie de son discours à Juliette.

[3Se dit à l’origine d’une troupe qui a pris les armes pour faire quelque service ou pour rendre quelque honneur puis, au sens figuré et familier, d’une femme qui emploie tous ses moyens de plaire (Dictionnaire de l’Académie française de 1877).

[4Juliette achète cet élixir chez Lambin.

[5Guyot est agent général des auteurs dramatiques, ancien élève de l’École normale, domicilié au no 15 rue Vivienne. Il est chargé du soin de défendre et conserver les intérêts des auteurs avec les théâtres et Hugo fait donc parfois appel à lui pour régler des litiges avec des personnalités du monde littéraire et théâtral. Il sera, semblerait-il, assigné en justice des années plus tard à cause de la mauvaise gestion de ses registres. Le 9 avril au soir, Juliette, en faisant ses comptes, parle déjà d’argent donné à cet homme.

[6Depuis 1839, Hugo travaille beaucoup pour entretenir Juliette. Cette situation de dépendance lui pèse et elle propose souvent au poète de participer aux dépenses, dans la mesure de ses pauvres moyens, en se séparant de quelques-unes de ses possessions ou en renonçant à certaines de ses envies.

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