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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 mars 1841

16 mars [1841], mardi matin, 11 h.

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon cher amour bien-aimé. Tu vois par la date de ma lettre que je n’ai pas tenu la promesse de me lever de bonne heure [1]. J’ai si mal à la tête que j’ai toutes les peines du monde à la soulever de mon oreiller, je suis vraiment très malheureuse.
L’ouvrière est à la maison. Je ne l’ai pas encore interrogée mais je doute qu’elle puisse faire ta robe d’une manière satisfaisante ; enfin nous verrons. Je n’ai pas reçu de lettre de Mme Krafft, je crains qu’elle ne se cartonne si je ne lui renvoie pas sa robe de chambre [2]. Tu me donneras ton avis là-dessus. Dans tous les cas ce serait fort bête de sa part et fort peu obligeant. Je vais écrire tout à l’heure à la mère Pierceau, à ma fille et à la mère Lanvin, ces dernières pour les avertir que le baptême n’a pas lieu à présent, cette première pour la féliciter d’avoir remis au monde le prophète Jonas [3] de Safranique mémoire [4]. Je voudrais bien en avoir fait autant [5] et n’avoir plus mal à la tête. Je suis stupide ce matin, quoique je ne sois pas fille d’un Paira de France. Je ne sais ce que je dis, je ne fais qu’éternuer et que moucher et que tousser. Je suis hideuse. Ça ne m’empêche pas de t’aimer, mon cher adoré, au contraire. Je t’aime, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 245-246
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « Paire ».


16 mars [1841], mardi soir, 6 h. ¼

Je vous aime, mon cher petit somnambule. Je pense à vous, je vous désire, je vous aime, qu’on vous dit. Je veux sortir ce soir. Voime, voime, fort amusant tout de même. Il paraît que je ne fais que des bêtises avec vos morceaux de journaux. Que le diable les emporte, j’aimerais mieux je ne sais quelle besogne que celle-là. Les vieux papiers, les vieux chiffons et les vieux habits font mon désespoir. En parlant de vieux habits, j’ai peut-être eu tort de ne pas renvoyer la robe de chambre à la mère Krafft ? Nous sommes vraiment par trop sans gêne et je commence à comprendre pourquoi on nous fuit comme la peste. Cependant, il n’y a pas moyen de faire la robe sans le modèle ; ainsi il faut que nous ayons l’air de croire que nous leur faisons un très vif plaisir en ne leur rendant pas leur machine tout de suite. Ceci est très ADROIT.
J’ai mal à la gorge ce soir, je ne peux pas avaler ma salive. Décidément je deviens très patraque, tu feras bien de me changer. Ia, ia, ia , essayes-y PÔLISSON, tu en verras des 36 millions de chandelles. En attendant, tâche de m’être très fidèle et de revenir bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 247-248
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette déplore d’avoir adopté un rythme de vie décalé, et elle préfère aussi se lever tôt quand son ouvrière Pauline vient chez elle pour pouvoir surveiller qu’elle fasse bien l’ouvrage qui lui est confié.

[2Juliette a emprunté à Laure Krafft une robe de chambre qui va servir de modèle à l’ouvrière afin d’en tailler une nouvelle pour Hugo. Malheureusement, la veille, Pauline n’est pas venue et Juliette a dû écrire à son amie pour l’en avertir et lui demander un délai de deux jours.

[3Allusion à Jonas, le fils de Mme Besancenot. Juliette décrit fréquemment dans ses lettres le garçon comme très agité, insupportable, un « petit scélérat ». Cependant, comme c’est le seul qu’elle fréquente de près, elle appelle généralement aussi « Jonas » tous les autres garçonnets qu’elle rencontre.

[4Mme Pierceau vient tout juste d’accoucher d’un petit garçon, Crépin, qui sera baptisé le 18 septembre.

[5Ce n’est pas la première fois que Juliette Drouet se sert de Jonas comme prétexte pour déplorer le fait qu’elle n’ait pas conçu d’enfant avec Victor Hugo (voir la lettre du 7 novembre 1840).

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