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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 avril [1841], vendredi midi

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher bijou, je t’aime. Je suis bien blaireuse et bien malingre encore aujourd’hui. Le soulagement n’est pas encore arrivé, j’espère cependant que cela ne tardera pas à présent [1]. Mais toi, mon adoré, comment vas-tu ? Je pensais que tu reviendrais te reposer ce matin auprès de moi mais il paraît, mon pauvre petit homme, que tu n’en auras pas pris le temps.
Voilà encore un affreux mois qui se présente [2], ne serait-il pas juste et bon, mon adoré, que je vende quelque chose, ne fût-cea que pour aider à payer la pension de ma fille [3] ? J’y suis toute prête et même, mon adoré, je renonce à la robe de réception [4] avec joie si ça peut te donner une heure de repos et de sommeil. Ceci est du fond du cœur, mon adoré, l’argent de la robe de chambre servira à la pension. Quant à moi, la moindre petite robe de jaconnai [5] ou de mousseline de laine me suffira pour le jour de ta réception. Accepte ma proposition, mon Toto adoré, elle est si sincère, si affectueuse et si facile que tu me feras une grande joie en ne me refusant pas. Cela ne m’empêchera pas d’être la mieux mise, la plus belle, la plus radieuse et la plus fière et la plus heureuse des femmes si tu m’aimes. C’est dit, n’est-ce pas mon amour. D’ailleurs je le VEUX, entendez-vous ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 33-34
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « fusse ».


9 avril [1841], vendredi soir, 4 h. ¾

Oui mon adoré, accepte ce que je t’offre de si bon cœur, ce sera une joie pour moi de penser que je te rends quelquesa jours de repos et de tranquillité. Merci mon bon ange, merci.
À peine avais-tu tourné le coin de la rue que le père Mignon entrait chez moi. Force lui a été d’attendre que Suzanne soit revenue de changer le billet. Je lui ai donné sesb 10 F. acompte, demain ce sera une autre procession. Parmi l’argent que nous ne comptons pas il y aura les impositions, le ramonage et la serrure [6]. C’est à n’en pas finir mon Dieu.
Je viens d’écrire à Mlle Hureau de tenir sa note prête pour lundi [7]. J’ai écrit aussi aux Lanvin pour savoir si on pourrait aller chercher Claire lundi [8]. Dans le cas contraire j’enverrais le Père la tuile [9]. J’ai en même temps fait souvenir que l’époque que M. Pradier avait indiquée pour donner de l’argent était arrivée [10], j’ai encore écrit de nouveau à la femme qui soigne mon père [11] dans le cas où ma première lettre aurait été perdue à la poste. Enfin, je ne suis pas encore débarbouillée quoique je ne me sois pas amusée depuis tantôt.
Je t’aime mon Toto chéri, je t’adore mon bon petit homme. Il faudra m’expliquer si pour retrouver les [600 F.  ?] dans la dépense comme pour la recette il faudra compter 100 F. donnésc à Guyot pour intérêt de l’argent [12] ? Tu me diras cela tout à l’heure. En attendant, je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 35-36
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « quelque ».
b) « ces ».
c) « donner ».

Notes

[1Juliette a ses règles, période toujours extrêmement douloureuse pour elle.

[2Tous les dix du mois, des créanciers comme le tapissier Jourdain, Lafabrègue ou l’homme de Gérard viennent récupérer les sommes qu’on leur doit.

[3Claire est pensionnaire d’un établissement de Saint-Mandé depuis 1836 et c’est Hugo qui en assume les frais à la place de son véritable père, James Pradier.

[4Victor Hugo a été élu le 7 janvier 1841 à l’Académie française, et sa grande cérémonie de réception, à l’occasion de laquelle il doit prononcer un discours, est prévue pour le 3 juin 1841. Cette séance est publique et Juliette doit y assister, c’est la raison pour laquelle il lui a promis de lui offrir une très belle robe.

[5Les textes de l’époque mentionnent ce tissu sous le nom de « jaconnai » ou « jaconnat », cette dernière orthographe intervenant bien plus fréquemment que la première.

[6Les ramoneurs et les serruriers sont intervenus le 2 avril.

[7C’est auprès d’elle que se fait le règlement des frais de pension de Claire, dans un établissement de Saint-Mandé où elle est scolarisée depuis 1836.

[8Ce sont les Lanvin qui s’occupent d’aller chercher Claire à la pension et de l’y ramener ensuite.

[9À élucider. Le 4 janvier au soir, Juliette a déjà mentionné cet autre homme qui ramène parfois l’adolescente, et elle en parlera à nouveau le 4 mai au matin.

[10Le 23 janvier, Mme Lanvin a conduit Claire chez son père, et Pradier a alors promis de payer « d’ici à dix semaines ou deux mois au plus tard […] tout l’arriéré de la pension de sa fille ». Malheureusement, il ne verse une pension à Juliette que de manière très irrégulière même si, à cette époque encore, il continue à voir sa fille dans son atelier de la rue de l’Abbaye, à lui écrire et à s’intéresser à elle.

[11L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est hospitalisé aux Invalides, très malade, mais sa seconde épouse, une dame Godefroy, lui donne des soins et envoie régulièrement par lettre de ses nouvelles à Juliette.

[12Guyot est agent général des auteurs dramatiques, ancien élève de l’École normale, domicilié au no 15 rue Vivienne. Il est chargé du soin de défendre et conserver les intérêts des auteurs avec les théâtres et Hugo fait parfois appel à lui pour régler des litiges avec des personnalités du monde littéraire et théâtral. Il sera, semblerait-il, assigné en justice des années plus tard à cause de la mauvaise gestion de ses registres.

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