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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 janvier [1841], [mercredi] après-midi, 1 h. ¼

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour mon amour. J’étais réveillée de bonne heure ce matin pour donner mes instructions à l’ouvrière [1] mais comme j’étais souffrante je ne me suis pas levée tout de suite et petit à petit je me suis rendormie.
Jusqu’à présent, les porteurs d’eau tâcheront d’avoir du sable de rivière d’ici à demain matin. Dans tous les cas, s’ilsa n’en ont pas je ne serai pas en retard pour nettoyerb le veloursc par un autre procédé, mais celui du sable étant le meilleur, j’aime mieux attendre un jour la chance d’en avoir. Le galon a coûté 13 sous l’aune, non pas le mètre, chez un tailleur qui a fait le difficile pour en vendre quoiqu’il fût beaucoup moins beau que le tien. Les marchands passementiersd [2] le vendent par pièce de quarante aunes et n’en détaillente pas [3].
Maintenant, il n’y a plus de dépense à faire car je ne veux pas de l’argent du veloursc dans ce moment-ci. Nous sommes trop gênés, c’est-à-dire tu travailles trop, mon pauvre adoré, pour que j’aie le courage de prendre autre chose que l’argent indispensable pour notre maison. Plus tard, quand nous serons sortis de cettef affreuse époque [4], je serai moins généreuse peut-être car ma garde-robe se simplifie de jour en jour et je finirai par n’avoir plus bientôt que la feuille de figuier de la mère Ève, ce qui n’est pas assez pour une vieille frileuse comme moi [5]. Je t’aime, mon adoré, je baise tes chers petits pieds et je te désire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 57-58
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « si ils ».
b) « nétoyer ».
c) « velour ».
d) « passementier »
e) « détaille ».
f) « cet ».


20 janvier [1841], mercredi soir, 6 h. ¼

Cher adoré, je t’attends toujours. Je t’aime, mon pauvre bien-aimé, plus que je ne puis dire. Tous les mots, toutes les tendresses, tous les baisers ne suffiraient pas à te dire combien je t’aime. Tu es plus que ma vie, plus que mon bonheur, plus que tout, je t’adore. Je voudrais te voir, mon cher bien-aimé. Je suis si longtemps à te désirer que lorsque vient le soir, toute ma patience, toute ma résignation et tout mon courage sont épuisésa et je souffre de tout mon cœur et de toute mon âme. Tâche donc, mon Toto, de venir bien vite auprès de moi.
J’ai reçu une lettre encore de Mme Guérard. Cette fois sans numéro du tout, ce qui est plus drôle. Du reste, elle me coûte plus de port de lettres qu’elle ne vaut quoique, celle-ci comme l’autre, soit pour me dire d’envoyer chercher des chevalets, des toiles et des couleurs pour Claire [6], et puis pour me dire qu’elle est tombée et qu’elle a cassé son parapluie. C’est pour la neuvième ou dixième fois cet hiver qu’elle tombe, sans compter les écorchures, les brûlures, les meurtrissuresb et toutes les URES d’une maladresse qui n’a peut-être pas son pendant dans toutes les autres femmes. Je lui ai répondu pour la remercier et pour lui faire mon compliment de condoléance [7]. Suzanne lui portera demain la lettre.
Je t’aime, mon Toto, je trouve le temps bien triste et bien long en t’attendant. Je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 59-60
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « épuisé ».
b) « meutrissures ».

Notes

[1Pauline.

[2Qui fait de la passementerie : décoration, ornement vestimentaire (gland, franges, cordons, galons, pompons).

[3Juliette veut raccommoder un vieux paletot de Hugo. Jean-Marc Hovasse remarque à ce sujet que, au début de l’année 1841, « le goût de Victor Hugo pour les habits rapiécés n’avait pas uniquement pour origine son enfance pauvre, mais une anecdote qu’il avait rapportée dans son récit du 15 décembre 1840 : « Napoléon aimait les vieux habits et les vieux chapeaux. Je comprends et je partage ce goût. Pour un cerveau qui travaille, la pression d’un chapeau neuf est insupportable » (Victor Hugo, ouvrage cité, p. 806).

[4Juliette vient de régler tous leurs créanciers, qui viennent chercher leur dû tous les 10 du mois environ.

[5Cette remarque fera écho à une autre du samedi 10 juillet 1841, où Juliette parlera d’« une nouvelle feuille de vigne pour remplacer celles qui s’usent et se fanent sur [s]on pauvre corps du bon Dieu ».

[6La fille de Juliette Drouet, Claire Pradier, est pensionnaire d’un établissement de Saint-Mandé depuis 1836. Elle y suit, entre autres, des cours de dessin et de musique. Quant à Mme Guérard, elle est régulièrement citée par Juliette lorsqu’il s’agit du matériel de peinture de sa fille. Il semblerait donc que ce soit chez elle qu’il est acheté (voir la lettre du 24 janvier).

[7Mme Guérard a manifestement perdu son mari récemment (voir la lettre du 24 janvier).

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