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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 février [1841], dimanche soir, 11 h. ¼

J’ai eu mes femelles [1] à dîner ce soir, même la mère Pierceau, faisant toujours l’enceinte continue de la ville de Paris [2]. Nous avons parlé de vous et de M. Charlot qui ne veut pas faire SON VERTUEUX de peur de se faire moquer de lui par ses camarades [3]. Enfin, j’ai beaucoup jaboté [4] de vous et cela m’a fait grand bien car j’avoue qu’une semaine de silence me pèse et que j’éprouve un grand soulagement, quand vient le dimanche, à me débarrasser de ce trop plein de paroles et de sentiments qui m’étouffe.
Je voudrais bien savoir, scélérat, pourquoi vous n’êtes pas venu ce soir et pourquoi vous ne venez pas à présent. Vous croyez peut-être en être quitte envers moi pour être venu ce matin ? Voime, voime, très drôle et très spirituel. Il est impossible de se donner les airs d’un VAILLANT à moins de frais, aussi je vous préviens que si vous ne vous dépêchez pas de me prouver que un et un font…..a UN, je répandrai sur vous les bruits les plus scandaleux et les plus déshonorants. Attendez-vous à cela et à bien d’autres chosesb encore si vous ne me donnez pas une prompte et éclatante réparation du coup d’épée dans l’eau de cette nuit. Dans l’eau est ici par métaphore mais vous savez ce que je veux vous dire. Tenez-vous pour avertic et revenez cette nuit même si vous avez le plus petit cœur.
Je vous écris sur une feuille de papier ployée pour copier les fameuses preuves de noblesse de la famille Buonaparte [5]. Ce n’est pas ma faute si je ne l’ai pas employéed à sa première destination, je voulais vous en faire la surprise. Vous ne l’avez pas voulu mais c’était pourtant de bien bon cœur que je le faisais. Bien vrai, mon Toto bien-aimé, c’est avec joie que j’aurais fait cette petite corvée si elle pouvait t’être utile et même pour rien que le bonheur de t’obéir en cela comme en toute chose. Je t’aime tant, mon adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 143-144
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) Il y a cinq points de suspension.
b) « bien d’autre chose ».
c) « avertit ».
d) « emploiée ».

Notes

[1En général, le dimanche soir, quelques amies de Juliette Drouet viennent dîner chez elle. Il s’agit de Mme Triger, de Mme Guérard, de Mme Besancenot et de Mme Pierceau.

[2Expression employée par Juliette et Hugo pour désigner cette mère de famille nombreuse vivant à Auteuil. À ce moment, elle est à nouveau enceinte de huit mois et elle accouchera le 15 mars d’un petit garçon.

[3Charles Hugo, alors élève au collège Charlemagne et pensionnaire à la pension Jauffret, a obtenu le 31 juillet 1840 le premier prix de thème latin au concours général. Ses camarades se sont-ils alors moqués de lui et n’ose-t-il plus depuis se montrer scolairement trop « vertueux » ? Quoi qu’il en soit, les résultats du jeune homme sont une préoccupation importante de Hugo durant toute l’année 1841 et il envoie régulièrement des lettres à son fils afin de tenter de le remotiver et l’inciter à redevenir le bon écolier qu’il était (« Une lettre inédite de Victor Hugo à son fils Charles », du 6 mai 1841, transcrite et analysée par Christine Chaumartin, article pour le Groupe Hugo, novembre 2015). Mais cela ne sera pas, semblerait-il, suffisant, et demeurera manifestement sans effet puisque le 12 décembre, Juliette abordera à nouveau le sujet en s’inquiétant pour l’adolescent en « prison », très certainement sanctionné par « une mise au cachot », punition ordinaire selon le Rapport sur les prisons des collèges de Paris du 29 septembre 1837.

[4Parler beaucoup, d’une voix peu élevée et de choses peu intéressantes (Littré).

[5Un long article d’André Borel d’Hauterive intitulé « Détails sur la famille Buonaparte » paraît dans le numéro du 10 février 1841 de La Presse. Juliette a insisté plusieurs fois sur son « horreur », son « antipathie » et sa « répugnance » pour l’écriture quand il ne s’agit pas de Hugo (voir les lettres du vendredi précédent et de la veille).

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