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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 août [1836], mardi soir, 6 h. ¼

Je ne vous avais pas encore écrit mon cher bien-aimé lorsque vous êtes venu tout à l’heure, quoique je n’aie pas cessé une seconde de penser à vous. Mais le chat et une puce, deux puces, dix puces, cent puces et six cent millions de puces m’ont tenuea plus de trois heures, après lesquelles je me suis débarbouillée et habillée.
Je vous aime quoique vous ne le méritiez guèreb, mon amour, mais enfin je vous aime, voilà le fait. La raison il ne la faut pas chercher, je vous aime, voilà tout.
Vous m’avez demandé compte de ma dépense tout à l’heure. Je l’ai retrouvée, et sans déficit. Je suis plus que toi surprise et affligée d’avoir dépensé tant d’argent. Cependant je sais que je n’ai pas fait une seule fausse dépense. Certes si le total de ma dépense est excessif je ne puis l’attribuer à mes rubans, mes fleurs, ma parfumerie, encore moins à ma gourmandise. Car si tu n’entrais pour tout dans le dîner que je te donne, je te réponds que je ne prendrais que le plus strictc nécessaire.
Je te dis tout cela mon pauvre ange, non pas que je crois que tu as besoin d’être éclairé sur ma manière de vivre. Mais parce que je me le dis à moi-même : je suis surprise et triste qu’il faille autant d’argent pour vivre.

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 240-241
Transcription de Nicole Savy

a) « tenues ».
b) « guerre ».
c) « stricte ».


16 août [1836], mardi soir, 6 h. ½

Je t’écris coup sur coup et tout d’une haleine. Pourquoi pas, puisque c’est comme ça que je vous aime d’un bout de l’année à l’autre et sans jamais m’arrêter. Et puis j’avais à cœur de te dire autre chose que des comptes-rendus de cuisine.
À propos de cela voilà qu’il me revient à l’idée que nous avons demain une autre dépense pour une autre cuisine encore moins appétissante : le MONT-DE-PIETE puisqu’il faut l’appeler par son noma, capable de ruiner en un jour l’ACHERON [1] si les nécessiteux voulaient le baptiser de ce noma mythologique. C’est demain que le Lanvin vient. Tu vois mon cher bijou que voici le schal [2] encore une fois devenu fantastique. Je ne m’en plains pas, au contraire, et je voudrais qu’il fît froid et que la saison fût assez avancée pour ne plus m’en occuper, voilà tout. Causons-en si vous voulez.
Que je vous aime et que je vous aimerai encore plus si c’est possible, si vous voulez bien consentir à nous prêter votre jolie petite tête [3] demain une couple d’heuresb. QUELLE PRIME si vous ne trouvez pas moyen de vous dérober demain jusqu’à 8 h. du soir comme l’autre fois. Je vous baiserai de toutes sortes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16327, f. 242-243
Transcription de Nicole Savy

a) « non ».
b) « heure ».

Notes

[1Citation du début des « Animaux malades de la peste », fable de La Fontaine : « la peste, puisqu’il faut l’appeler par son nom, / Capable de remplir en un jour l’Achéron, / faisait aux animaux la guerre. »

[2« Schal » ou « schall », orthographe de « châle » à l’époque romantique.

[3Pour une séance de pose, en vue du portrait destiné à Juliette.

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