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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 octobre [1837], mardi matin, 9 h. ¾

Bonjour mon très adoré, bonjour. Je suis bien disposée à m’attrister ce matin. Je vois que tu ne viens plus du tout les matins et le courage me manque pour le reste de la journée.
Si j’avais su cela, et prévu le beau temps qu’il ferait, je t’aurais joliment pressé d’aller aux Roches [1]. J’aurais été sûre au moins d’avoir mes journées dans les bois, ce qui n’est pas très bête aprèsa tout. Et puis j’aurais eu tant de bonheur à revoir le pied du chêne si bien décrit par vous [2]. J’aurais été heureuse, tandis qu’icib.......... j’attends le bonheur qui ne vient pas souvent et pas longtemps. J’ai toujours un mal de tête complétéc du mal de cœur et puis pour comble d’infortune j’ai rencontré ce matin une araignéed dans ma cuvette de toilette. Ouh ! que le diable l’emporte. Depuis hier je suis en proie aux poux, aux araignées et aux ordures d’épicier. J’en ai le cœur renversé.
Jour pa, jour mon petit pa. Quand donc viendrez-vous ? Je ne suis pas méchante ce matin. Je suis très bonne, très douce et très amoureuse. C’est bien attrayant il me semble, et vous laisserez cependant perdre toutes ces bonnes dispositions sans regrets. Je suis bien MAREULEUSE [3], c’est bien vrai. Je vous aime trop mon Toto. Si je vous aimais moins je n’aurais pas le moindre chagrin de votre absence et je me gobergerais en vous attendant. Mais je ne saurais pas vous aimer moins. Ainsi je me résigne.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 257-258
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « à près ».
b) Les points de suspension, au nombre de dix, filent jusqu’au dernier terme sur la ligne (« j’attends »), offrant un large espace qui couvre la moitié de celle-ci.
c) « completté ».
d) « arraiegnée ».


10 octobre [1837], mardi soir, 6 h.

Vous voilà déjà parti, scélérat d’homme, et puis vous me direz que vous m’aimez, n’est-ce pas ? Et moi je ne serai plus assez bête pour le croire. Voilà mon opinion politique et littéraire. Maintenant je vous attends à minuit, heure des revenants et des patrouilles grises [4]. Si je voulais, comme je pourrais employer tout ce temps-là en bals et festins, et comme ce serait bien fait. J’ai bien envie D’ESSAYER ! Qu’est-ce que je risque ? Vous ne le saurez jamais. Vous venez si rarement et à des heures si indues que ce serait bien le diable si vous ne me trouviez pas à mon poste. Cher bijou, maintenant que je vous ai bien fait enrager, je vous demande pardon et je m’humilie et je fais la petite comme il convient à une femme bien dressée.
Je vous attendrai avec patience et courage jusqu’à la consommation des siècles sans me permettre le plus petit murmure. Je vous accueillerai avec joie et amour à quelque heure du jour et de la nuit qu’il vous plaise de me visiter, et je vous promets une sincère fidélité de paroles, d’actions et de pensées qui feraient honneur à la Vierge même. Soir pa, soir man. À bientôt n’est-ce pas mon cher petit amoureux ? Je t’aime, vois-tu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 259-260
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1C’est là, à Bièvres, que Victor Hugo se rend chaque automne depuis 1831 dans la propriété des Bertin. En 1834 et 1835, Juliette l’avait suivi et était logée non loin de là au hameau des Metz.

[2Quand ils étaient aux Roches, Juliette et Victor correspondaient en déposant leurs lettres dans le creux d’un vieux châtaigner. C’est sans doute à cet arbre que pense Juliette tout en commettant un lapsus.

[3Imitation d’une prononciation enfantine du mot « malheureuse », par métathèse.

[4« Patrouilles grises » : brigades de la police parisienne chargées de faire des rondes de surveillance la nuit, en habits bourgeois.

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