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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 25 décembre [18]63, vendredi matin, 8 h. ¾

Rebonjour, mon cher petit homme, jusque dans les profondeurs de ta grande âme. J’espère que ton sommeil aura été bercé par le souvenir de tous ces chers petits êtres consolés, comblés et bénis par toi hier matin et que tu as dormi toute la nuit comme un homme qui a bien rempli sa tâche. Quant à moi qui n’avaisa rien fait je n’ai fait qu’un somme en plusieurs [illis.] depuis le moment où je me suis couchée jusqu’au moment où je me suis levée, c’est-à-dire au coup de canon [1]. Quant à mon rhume il diminue rapidement et ne vaut même plus la peine d’en parler, et à ce propos il m’a semblé que tu lisais un de mes gribouillis tout à l’heure et j’en ai ressenti une espèce de confusion comme d’un honneur immérité que tu me [illis.] à travers mon ignorance et ma stupidité. J’ai besoin d’oublier quand je t’écris que tu me liras, sans cela je ne l’oserais jamais. Aussi ai-je été un peu honteuse et troublée ce matin quand j’ai cru reconnaître de loin mon petit gribouillis de la veille. Dans ce moment-ci même ma plume tremble et bégaie comme ma pensée et je sens que je suis encore plus bête et plus inintelligente encore que de coutume je voudrais être arrivée au dernier mot de cette pauvre restitus empêtrée dans un farragob [2] inextricable d’amour, de niaiseries et de fausse [honte  ?]. Ordinairement je n’ai pas cette préoccupationc que TU ME LIRAS. Aujourd’hui j’en ai l’embarras comme si c’était la première fois que je m’expose à cela. Pourquoi ? Je ne le sais pas mais je voudrais que ma restitus fût au fond de mon encrier et n’en [pût  ?] laisser sortir un mot si ce n’est celui-ci : JE T’AIME. Quel dommage qu’il tienne si peu de place sur le papier, lui qui remplit ma vie d’un bout à l’autre, comme il me tirerait de peine en ce moment et comme j’y abriterais ma bêtise de manière à te la cacher. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je ne sors pas de là, tant pis.

BnF, Mss, NAF 16384, f. 292
Transcription de Gérard Pouchain


a) « avait ».
b) « pharago ».
c) « préocupation ».

Notes

[1Chaque matin, au lever de soleil, un coup de canon est tiré de Castle Cornet.

[2Farrago : mélange, méli-mélo.

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