Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1840 > Janvier > 14

14 janvier [1840], [mardi] après-midi, 1 h. ¼

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon petit homme bien-aimé. Je me dépêche pour pouvoir arranger mes trésors dans mon portefeuille. Aussitôt pris, ou REPRIS, aussitôt pendu avec moi. J’ai défendu expressément à la servarde d’y toucher sous aucun prétexte. Je le lui ai montré afin que la curiosité ne la porte à mettre ses pattes noires et grasses dessus. Je suis comme toi furieuse de la pommadea de ce hideux Guerlain [1]. Si je ne craignais pas les questions à la servante et les reliquats d’un reste de compte j’aurais envoyé reporterb cet ignoble pot avec force injures. Mais la crainte de m’attirer les réclamations de ce voleur me fait garder cette effroyable pommadea qui est rance et dégoûtante. Justement j’en ai fait prendre un pot de 2 f., on n’a pas plus de chance. Que le diable emporte l’imbécilec qui l’a apportée et le filoud qui l’a faite. J’ai joliment à copier tantôt. Je ne pense pas que tu me fassese sortir aussi je vais travailler comme un petit âne. Il fait beau et doux aujourd’hui, seulement il faut visiter tes bottes et voir si elles ne sont pas trouées car il y aura du gâchis dans les rues. Je te dis tout cela comme si lorsque tu liras ma lettre il sera temps d’empêcher tes jolis petits pieds de se mouiller à présent. Mais je ne peux pas m’empêcher de te parler comme si tu étais là. Et puis si le magnétisme existe aussi vrai que l’amour, tu dois sentir l’avertissement que je te donne et l’amour que je t’envoie et prendre tes précautions et m’aimer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 52-53
Transcription de Chantal Brière

a) « pomade ».
b) « reporté ».
c) « imbécille ».
d) « filoux ».
e) « fasse ».


14 janvier [1840], mardi soir, 5 h. ½

À peine étais-tu parti, mon adoré, que le bottier est venu avec tes petites bauttes. Je lui ai dit que je lui écrirai pour lui mander le jour où il doit venir toucher son argent. Je ne sais pas, mon pauvre bien-aimé, si dans la dépense tu as compté cela ou bien si tu prendras l’argent ouvertement chez toi, mais je sais, mon pauvre ange, que je te plains dans tous les cas d’avoir tant d’argent à gagner pour tout le monde. Je n’ai pas encore les quittances du loyer mais tu peux être tranquille je ne boirai pas tout l’argent. J’en donnerai un peu au propriétaire. Voime, voime, vous êtes très spirituel. Baisez-moi, vieux scélérat, et dites-moi pourquoi vous me faites prisonnière quand il fait si beau ? Il faudra pourtant que tu me mènes à la pension de Claire car depuis mon retour je n’y suis pas allée une seule fois et vraiment on doit penser bien de vilaines choses de toi et de moi, c’est une indifférence et une négligence qui ne peut pas s’excuser quand on ne vit pas dans notre intimité. Tu m’y mèneras bientôt n’est-ce pas mon bien-aimé ? Tu es si bon et si juste pourtant que tu comprendras la nécessité de ne pas différer davantage ce petit devoir de conscience. Soir pa, soir man, je vais copire comme un lion. Ça m’amuse beaucoup, je voudrais en avoir toute l’année à copire de vos gribouillis. Baisez-moi encore et tâchez de venir coucher avec votre Juju cette nuit comme il y a deux jours. Cela vous est si facile que vous n’êtes pas excusable quand vous ne le faites pas. Et moi qui vous aime je devrais l’exiger de vous, mais je vous en prie de toute mon âme ce qui est encore mieux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 54-55
Transcription de Chantal Brière

Notes

[1La parfumerie Guerlain a été créée à Paris en 1828. Elle était installée rue de Rivoli.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne