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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 janvier [1840], mercredi après-midi, 1 h.

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon adoré, bonjour mon Toto, comment va ta carnation ? Je suis furieuse ce matin contre cette imbécilea de Suzanne qui m’a brisé la moitié de mon ménage avec des airs de tranquillité et de stupidité qui font mal à voir. Enfin voici ma première colère passée, la seconde n’est pas dangereuse. Il paraît que Dabat viendra tantôt apporter ta BAUTTE mais soyez tranquille je surveillerai vos pas. En attendant ayez bien son de votre bobo, prenez garde de ne pas tomber et mettez un habit sous votre paletot. J’ai peur que Mme Krafft n’envoie demander son argent car je crois c’est b pour le 9 ou le dix de ce mois-ci qu’elle a fait un billet. Cela me vexerait horriblement car nous le lui avions promis pour le 4 ou le 5. Pauvre bien-aimé, je te tourmente pour cette créance-là plus que pour n’importe laquelle, tu comprends bien pourquoi ? Du reste j’aimerais mieux avoir la liberté de ne t’en pas parler et de vendre des brimborions à moi. Cela m’arrangerait beaucoup mieux et ne me tourmenterait pas autant.
Prends bien soin de toi mon adoré. Le bobo guette ou est un indice d’échauffement et de ce temps-ci cette prédisposition est une chose sérieuse à laquelle il faut faire bien attention. Pense un peu à ce que je deviendrais, mon adoré, s’il fallait que tu sois malade. D’y penser j’en suis triste jusqu’au fond de l’âme. Ô je t’en prie, mon Toto chéri, ne te fatigue pas, soigne-toi et prends garde d’avoir froid. Je baise tes chers petits pieds, mon amour, et je désire qu’ils me ramènentc au plus tôt toute ta chère petite personne ravissante. Il fait joliment froid ce matin, je suis auprès du feu et j’ai la main droite engourdie, chien chien comme ça pince.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 28-29
Transcription de Chantal Brière

a) « imbécille ».
b) « c’est le ».
c) « qu’il me ramène ».


8 janvier [1840], mercredi soir, 5 h. ¼

Voici la nuit close, mon adoré, et je ne t’ai pas encore vu. J’ai cependant bien désiré, bien espéré et bien hâté ton retour. Enfin ce n’est pas ta faute ni la mienne non plus car tu es trop honnête pour me garder si tu ne m’aimes plus et moi je t’aime de toute mon âme, ce qui est une attraction. C’est peut-être aujourd’hui la pièce de Walewskia [1] et sans doute tu iras à la représentation ? C’est bien triste pour moi et j’aurai bien de la peine à passer cette soirée tranquillement. M. Dabat a rapporté ta botte très bien raccommodéeb, il promet de t’en faire une paire pareille à elle d’ici à huit ou 12 jours. Il a apporté sa note qui se monte à 66 F. dont 14 F. pour moi. Je lui ai dit qu’on paierait le tout ensemble et voilà. Je vais faire de la charpie tout à l’heure. Je suis triste, j’ai mal à la tête et bien de la jalousie et de l’inquiétude dans l’âme. Pense à m’apporter de la copie, c’est le moyen de me distraire et de me faire prendre patience. Voici qu’on ouvre la porte d’en bas, si ça pouvait être toi ? Hélas non. La journée me paraît éternelle aujourd’hui, peut-être y a-t-il dans l’air la pièce de Walewskia pour me la faire paraître plus longue et plus insupportable qu’à l’ordinaire. Je ne te pardonnerais pas d’y aller sans m’avoir vue. Oh ! Dieu ce serait abominable. Je ne veux pas y penser car c’est affreux. N’oubliec pas de te bien vêtir sous ton paletot, le froid est si vif que tu t’enrhumerais sans cette précaution. Viens me voir, mon bon ange ; et si tu peux, tâche de ne pas aller à cette odieuse représentation à moins que ce ne soit avec moi.
Je t’attends, mon cher petit bien-aimé, avec autant d’impatience que d’amour. Ainsi tu jugesd de l’état dans lequel je suis ! Aime-moi mon Toto et sois fier de tant de tristesse et de tourment qui sont de l’amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 30-31
Transcription de Chantal Brière

a) « Waleski ».
b) « racommodée ».
c) « N’oublies ».
d) « juge ».

Notes

[1Le comte Walewski, militaire et diplomate, passe pour être le fils naturel de Napoléon Ier. Le 8 janvier 1840 était donnée au Théâtre-Français une comédie dont il était l’auteur, L’École du monde ou la coquette sans le savoir.

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