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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 septembre 1837

14 septembre [1837], jeudi soir, 9 h. ½

Cher bien-aimé, me voici revenue à ma vieille, triste et douce habitude de t’écrire pendant ton absence [1]. Je ne peux pas dire que je n’aime pas mieux l’autre vie dont nous sortons mais je trouve bien du charme à t’écrire car il me semble que ce que je n’ose pas te dire j’ose te l’écrire, et cela me soulage d’autant le cœur. Je t’aime mon pauvre adoré, non pas autant qu’autrefois où je ne t’aimais que de tout mon cœur, mais bien plus à présent, pour me servir de l’expression de la ravissante Didine. Depuis que tu m’as quittée je n’ai pensé qu’à toi et avec tant d’amour que tu en serais jaloux si on pouvait l’être de son moi. J’ai beaucoup à [piocher [2] ?] car j’avais à remettre la maison à peu près en ordre. Ce soir Mme Lanvin est venue tard. Elle a dîné avec moi avec son cousin. Je n’ai donc pas eu le temps de me débarbouiller. Je vis encore dans la bonne crasse du voyage et autre. Je m’en trouverais bien si vous étiez là pour me sentir et me voir dans cet équipage de souillon. Je vais me coucher seule à ce que je crois et par conséquent triste. Je désire que vous sentiez comme moi la tristesse de votre première nuit de veuvage. Malheureusement, vous êtes entouré de trop de bonheur pour sentir l’absence de votre Juju. C’est ce qui m’attriste encore plus. J’aurai donc du chagrin pour deux tandis que vous aurez tous les bonheurs à vous tout seul.
Je n’ai rien appris de nouveau par Mme Lanvin, mais je sais trop malheureusement combien j’ai eu à dépenser aujourd’hui. J’en suis effrayée. Je ne sais vraiment pas comment tu en viendras à bout pauvre bien-aimé. Tu vas avoir à travailler tant pour moi que je ne sais pas si tes forces y pourront suffire. Encore si tu voulais user des ressources qui nous restent avec moins de scrupules, je ne serais pas aussi tourmentée. Mais tu as là-dessus des idées si absurdes que ce n’est pas sans raison que je m’inquiète.
Je t’aime mon Victor adoré, je t’aime. Je voudrais te le dire avec tous les [sons  ? sens  ?] à la fois pour me faire mieux écouter. J’ai été bien heureuse pendant les 34 jours qui viennent de s’écouler car j’ai pu jouir de toutes mes facultés d’aimer sans entraves et sans interruptions. Il est vrai que si le bonheur consiste seulement dans aimer, nulle femme ne serait plus heureuse que moi à présent. Mais ce n’est pas tout d’aimer, il faut posséder et depuis tantôt vous ne m’appartenez plus ou si peu que ce n’est pas trop rassurant pour une pauvre vieille Juju comme moi. Soir pa, soir man.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 166-167
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
[Souchon, Massin]

Notes

[1Après une pause de plus d’un mois due au voyage en Belgique et dans le nord de la France avec Victor Hugo, Juliette reprend son activité épistolaire le soir même du retour à Paris.

[2Dans le sens de « travailler sans répit », « travailler un sujet avec ardeur ».

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