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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1835 > BnF, Mss, NAF 16323, f. 14-16

Mercredi, 9 h. ½ du soira

Mon pauvre cher bien-aimé, tu as été encore bien injuste envers moi aujourd’hui. Ce soir même, tu as été maussade et distrait avec moi comme si je t’avais fait quelque chose de grave et de coupable. Et cependant, jamais il n’y eut de femme plus fidèle et plus dévouée à son amour que je ne le suis. Hélas ! mon cher Victor, je ne veux pas envenimer la plaie que tu entretiens toujours saignante au fond de mon cœur, mais ce qu’il y a de certain, c’est que tes reproches paraissent l’amère parodie de la conduite la plus honnête et la plus résignée.
Moi aussi je suis jalouse, non pas de l’achat d’une boîte de poudre dentifrice, non pas de la présence d’un tablier nouveau fait avec un vieux schallb, non pas, non plus, de l’absence d’une papillote. Je suis jalouse, moi, d’une femme en chair et en os et de l’humeur la plus concupiscente qui se puisse trouver ; qui est là tous les jours avec toi, te regardant, te parlant, te touchant. Oh ! oui, de celle-là j’en suis jalouse. Cela va même jusqu’à me faire souffrir des douleurs atroces. Je suis jalouse encore de ces mille femmes qui t’écrivent, qui t’admirent, qui croient avoir des droits à te le dire. Je suis jalouse de celles-là. Je suis encore jalouse de bien d’autres que, par scrupules, je ne veux pas nommer. Et mes jalousies contre ces dernières ne sont pas les moins fondées ni les moins amères. Mesc jalousies, comme tu vois, je les connais, je les compte, je les sens. Mais toi, de quoi es-tu jaloux ? De rien, n’est-ce pas ? Tu es bien heureux alors. Mais si tu n’es pas jaloux ou que tu le sois de rien, respecte au moins mon pauvre cœur malade, n’ajoute pas les contusions de ta jalousie fantastique aux meurtrissuresd que me fait chaque jour ma jalousie réelle, vivante, animée et triomphante. Plains-moi, aime-moie, si tu peux. Mais ne te moque pas de ta pauvre femme qui t’aime, qui te contemple jour et nuit au fond de son cœur avec des yeux pleins d’admiration pour tout toi.
Voici 10 h. qui sonnent. La soirée s’annonce assez comme celle d’hier. Et je ne t’aime pas, n’est-il pas vrai ? Je ne t’aime pas ? Fou que tu es, tu ne le crois pas.

Juliette

M. et Mme Lanvin s’en sont allés à 9 h. ¼.

BnF, Mss, NAF 16323, f. 14-16
Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « 2 » est ajouté en haut de la cinquième page de sa lettre qui se compose en deux parties (deux fois quatre pages). Il se peut que Juliette, ou une autre personne, ait annoté la lettre pour indiquer l’ordre de lecture.
b) Pour « châle ». La graphie « schall », de l’anglais « shawl », est répandue au XIXe siècle.
c) « mais ».
d) « meurtrissure ».
e) « aimes-moi ».

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