9 décembre 1862

Guernesey, 9 décembre 1862, mardi, midi ½

Oui, mon cher bien-aimé, soyons heureux en dépit des tracasseries de la vie domestique, ou plutôt DE DOMESTIQUES. Tout cela n’est rien quand on a une bonne conscience et qu’on s’aime en pleine confiance et en pleine estime l’un de l’autre comme nous nous aimons tous les deux. J’avoue que j’ai eu quelque tristesse depuis hier de l’espèce de blâme rétrospectif que tu m’infligeais pour avoir dédaigné en leur temps les papotages plus ou moins cyniques de tes domestiques. J’avoue encore que j’ai eu un peu de chagrin de t’avoir trop bien obéi pour ce qui concerne Marie [1], et que je croyais avoir fait de mon mieux et très consciencieusement mon devoir d’intermédiaire dévoué à toi et aux tiens. Tes reproches et ton mécontentement m’ont prouvé que je n’avais pas réussi dans cette mission très difficile et encore plus délicate pour moi plus que pour toute autre personne. Du reste je ne l’ai fait que sur ta demande réitérée ; j’ai le regret de n’avoir pas réussi, je t’en demande pardon en te suppliant de ne plus m’employer dans tes missions pour lesquelles j’ai peu de goût et où je suis trop maladroite. Ton service ne peut pas [perdre  ?] à mon abstention, pas plus qu’il ne peut gagner à mon intervention. Le remède et le mal ne sont pas dans mon influence quelle qu’elle soit, mais ma tranquillité et ma dignité ont peut-être tout à perdre dans tes conflits intérieurs. Aussi, mon cher adoré, je te supplie de ne plus m’y mêler et de réserver mon amour et mon dévouement pour toi seul. Ceci obtenu, je te promets d’être très heureuse et très GEAIE ce soir.

BNF, Mss, NAF 16383, f. 264
Transcription de Camille Guicheteau assistée de Guy Rosa