Jersey, 23 mars 1855, mercredi après-midi, 3 HEURES !!!
Vous avez le droit de vous montrer maintenant que les trois heures sont FAIT À FAIT. Ce n’est pas sans peine du reste car je croyais que jamais cette heure cabalistique n’arriverait. Enfin grâce à Dieu la voilà tombée dans le GOUFFRE DE L’ÉTERNITÉ. Je n’en suis pas fâchée, AU CONTRAIRE. À présent je commence à me livrer d’avance à la douceur de mon petit gueuleton hebdomadaire. Quel bonheur ! quel bonheur ! quel bonheur ! Aussi pour avoir le plus souvent possible la joie de vous bourrer de bonnes choses je mangerais du pain chesse six jours et demi sur sept, je vendrais ma dernière chemise et je changerais mes couverts contre de l’argenterie de bois, je commettrais tous les crimes et tous les sacrilèges, y compris celui de ne pas croire à l’immaculée CONCEPTION DE BOUSTRAPA. Malheureusement vous ne me donnez pas assez souvent l’occasion d’en venir à ces extrémités, ce dont je me plains amèrement. Cependant ce n’est pas aujourd’hui le moment de me plaindre mais de me réjouir, d’allumer mes lampions et de mettre mes petits plats dans les grands. Du reste mon bonheur fera beaucoup plus d’étalage que mon buffet. Je commence même sérieusement à craindre qu’il n’y ait pas de quoi vous substanter [1] avec mon modeste petit poisson et mon trop bref rosbifa. Il vous faudra TOURTILLER [2] beaucoup pour tromper votre faim. Quant à moi je compte vous dévorer cela me suffit pour ce soir.
Juliette
BNF, Mss, NAF 16376, f. 127-128
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
a) « rosbeef ».