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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er février 1855

Jersey, 1er février 1855, jeudi soir, 4 h.

Je t’aime. Tout mon esprit, tout mon cœur et toute mon âme est dans ce mot-là. Après il n’y a plus qu’à tirer la plume car tout ce qui en sortira ne sera que rabâchage, lieux communs et inepties. Cependant comme il faut que je fournisse ma restitus n’importe comment, je vous y fourre tout ce qui me tombe sous la plume. Par exemple, la presque certitude de festin avec vous demain hure à hure [1]. Le petit Préveraud que j’ai vu tantôt en compagnie du citoyen Durand n’a pas voulu me refuser définitivement avant d’en avoir référé à sa femme. Quant au citoyen Durand, il n’accepte que si les Préveraud viennent. Tout cela naïvement et sans le moindre sentiment d’impertinence ou de fatuité, mais aussi avec le sans-gêne bourgeois de gens qui ne se doutent pas de l’honneur que je leur fais dans ta personne. Du reste, cette manière d’être, assez répulsive en elle-même, est particulière à la proscription de ce pays-ci. Ce n’est pas la première fois que je le remarque et qu’elle me choque dans ce que j’ai en moi de plus délicat et de plus féminin, mon adoration pour toi. D’ailleurs si j’étais bien sûre que tu ne t’ennuies pas avec moi seule pendant toute une soirée, loin d’essayer à racoler des convives, je les éviterais avec le plus grand soin pour ne rien mêler au bonheur d’être avec toi. Mais cette superbe confiance en moi je ne l’ai pas, tant s’en faut, de là viennent mes tentatives d’embauchement peu réussies. Enfin, mon adoré, j’espère que tu me tiendras compte de la bonne volonté demain et que tu n’en perdras pas un coup de dent et moi une miette de mon bonheur.

Juliette

BNF, Mss, NAF 16376, f. 54-55
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa

Notes

[1Hure à hure : tête à tête. Victor Hugo fait remarquer que les îles anglo-normandes possèdent un vocabulaire spécifique : « ce remarquable radical de langue primitive, hou, se retrouve partout (houle, huée, hure, hourque, houre (échafaud, vieux mot) » (L’Archipel de la Manche, IX ; Roman III, Laffont, « Bouquins », 1985, p. 14.)

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