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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 11 janvier 1855, jeudi après-midi, 2 h.

Oui, mon cher petit homme, j’espère cette fois-ci encore en être quitte pour la peur de mon hideux bobo. Aussi je me cuis, je me grille, je me carbonise les pieds pour éviter un trop redouté accès de podagrerie. Du reste, il fait un temps charmant et plus digne du mois de mai que de janvier. Ce serait bien le moment d’aller se sécher au soleil mais vous n’êtes pas si bête que de me le proposer. Vous attendrez spirituellement une soirée de brouillard bien épais pour m’offrir d’y retremper mes rhumatismes. Je vous connais et je n’en suis pas plus fière pour ça.
Seulement je vous fais souvenir que c’est demain le 12a , c’est-à-dire : loyer et gages, sans compter les deux termes échus de Paris et les dates de renouvellements expirées. Tout cela n’est pas drôle à dire à un pauvre homme aussi occupé que vous l’êtes. Mais que voulez-vous que je fasse devant ces hideuses nécessités ? À moins de plagier en action le fameux « QU’IL MOURÛT » [1] cornélien, je ne vois pas d’autre expédient pour me tirer de là que de vous tirer par la manche pour vous forcer à tirer le diable par la queue en guise de MAGOT. Sans compter que je continue à avoir le coup-de-pied ROUGE comme une PIÈCE DE CENT SOUS pour faire suite aux engelures de la célèbre Suzanne lesquelles étaient rouges comme mon petit manteau vert. Vous voyez que la Suzanniarderie est contagieuse. Académicien, méfiez-vous [2]. Maintenant que je vous ai sassé [3] toutes ces stupidités au tamis de soie, permettez-moi de vous servir mon cœur au gros sel et mon baiser en douceur. N’oubliez pas que je vous attends et que je n’ai pas d’autre bonheur au monde que celui que vous me donnez. Allons, mon petit Toto, un peu de courage et de bonne volonté pour moi, s’il vous plaît. Vous n’en serez pas plus pauvre au bout de la vie et moi j’en serai plus riche de toutes mes joies accumulées.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16376, f. 22-23
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa


a) La date est soulignée trois fois.

Notes

[1Corneille, Horace, III, 6.

[2Allusion à l’habit vert porté par les académiciens. Hugo a été élu à l’Académie française en 1841.

[3Sasser : passer au tamis. (D’où « ressasser ».)

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