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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 4 janvier 1855, jeudia soir, 4 h. ½

Que tu es gentil, mon Toto, de trouver un peu de distraction dans mes pauvres petits dîners bourgeois et surtout d’en faire à toi seul tous les frais d’esprit et de gaîté. Je ne sais pas, mon pauvre adoré, ce que j’aime et j’admire le plus en toi : de ton génie toujours sublime ou de ta bonté presque divine mais je sens que je suis profondément touchée et reconnaissante chaque fois que tu daignes être pour moi et pour ceux qui m’entourent si simplement cordial et indulgent. Je suis charmée que le brave Durand ne se soit pas senti blessé de son exclusion forcée de notre petit gala d’hier. Plus le bonhomme est susceptible et moins je voudrais lui faire de peine. Quant aux Asplet, Charles du moins, il n’a pas l’air de se douter qu’il est en reste de politesse avec moi. C’est peut-être la première fois de ma vie que je fais des AVANCES à un homme mais à coup sûr ce sera la dernière. Du reste, je ne m’en émeus pas autrement car il est certain qu’il n’y a aucune intention grossière de la part de ce débonnaire Jersiais. Ma stupidité sentimentale est seule dans son tort. Cela lui apprendra à s’exagérer la reconnaissance et à pousser la naïveté jusqu’à faire monnaie d’une vieille effigie non contrôlée. Vrai, Dieu ! quelle broussaille autour de mon billet doux. Je te conseille d’en passer et des meilleures, s’il y en a, pour arriver tout droit à ma chose importante.
Mon Toto, je vous aime mais ne croyez pas que je sois dupe de votre aplomb affectéb sur vos nouvelles chaumontelleries [1]. Je sais que les lettres d’Hetzel [2] peuvent à la rigueur remplacer le CARABINIER de Charles, QUI N’ÉTAIT PAS AMUSANT, mais je sais aussi que mon ancienne bonasserie a fait place à la méfiance la plus féroce et que vous ne mourrez que de ma main. Maintenant voyez si toutes les mystérieuses lettres… de l’alphabet valent que vous risquiez pour elles votre précieuse vie. En attendant que vous ayez réfléchi sur le dangereux plaisir que vous allez chercher en ville et ailleurs, je vous baise comme le plus innocent des hommes. Vos crimes ne perdront rien pour apprendre tandis que mon cœur se dépêche de vous aimer et de vous croire le plus honnête des Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16376, f. 7-8
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa

a) Le jour initialement marqué mercredi est corrigé d’une autre main.
b) « affectée ».

Notes

[1Néologisme de Juliette sur l’affaire « Chaumontel » : expression empruntée aux Petites Misères de la vie conjugale de Balzac où le héros essaie de justifier ses absences par « l’affaire Chaumontel » qu’il invente de toute pièce, mais sa femme Caroline n’est pas dupe.

[2Hugo correspond avec Hetzel au sujet de la publication des Contemplations.

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