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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 1er janvier 1861, mardi soir, 8 h.

Mon bien-aimé, mon bien-aimé, je remercie Dieu les yeux pleins de larmes d’amour de m’avoir donnée à toi de toute éternité et pour toute l’éternité. Mon cœur le bénit et te bénita et tout mon être se fond dans une adoration extatique. Si tu savais, mon ineffable bien-aimé, combien je t’aime, tu en serais transporté de joie et tu ne désirerais rien autre chose en ce monde et dans l’autre que la continuation de cet amour, essence de tous les amours. Ma raison en a presque le vertige, heureusement que les ailes de mon âme l’empêchentb de perdre son centre de gravité et qu’elles la ramènent toujours auprès de toi. MAIS JE TE DIS LA DES CHOSES, DES FOLIES [1]... qui viennent d’une sorte d’ivresse que me causentc presque toujours tes chères lettres. Pardonne-moi, mon cher adoré, je vais tâcher de t’aimer tout droit devant moi et sans tituber à travers toutes sortes de tendres divagations qui font trébucher mes caresses et mettent mes pauvres baisers sens dessus dessous.
J’espérais que ton vilain mal de gorge n’oserait pas se montrer aujourd’hui mais à mon grand regret il ne se tient pas encore pour tout à fait battu et le lâche a profité de ce temps hideux pour refaire encore une impudente apparition, qui sera la dernière je l’espère. D’abord je suis décidée à lui faire tant d’avances qu’il faudra bien qu’il déguerpisse malgré lui. En attendant, il faut que de ton côté tu ne fasses pas trop d’imprudence comme celle, par exemple, de te promener au grand vent et par la pluie comme tu le faisais tantôt quand le citoyen Quesnard t’a rencontré. Je sais, mon pauvre adoré, que tu n’as que le choix des bâtonsd c’est-à-dire le mal de gorge ou le mal de tête mais il faudrait avoir le courage de commencer par tuer un de ces redoutables adversaires, quitte à étrangler le second entre deux coups de vente et trois averses. Tout cela, mon pauvre souffrant, est plus facile à dire qu’à faire. Aussi je suis triste et malheureuse de ne pas trouver autre chose de meilleur et de plus concluant à te conseiller et je suis honteuse de mon insuffisance à te soulager quand je donnerais mille fois ma vie pour toi avec joie pour t’épargner une heure de malaise.

BnF, Mss, NAF 16382, f. 1-2
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « bénis ».
b) « empêche ».
c) « cause ».
d) « battons ».
e) « vents ».

Notes

[1Citation de Ruy Blas : le héros s’adressant à son ami Zafari commente en ces termes l’aveu de son amour pour la Reine. (Acte I, scène 3, v. 407.)

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