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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 décembre [1844], vendredi matin, 11 h. ¾

Ô que je te baise, mon Toto bien-aimé, avant de te dire bonjour, même, avant de savoir comment tu vas pour les tendres, les douces, les consolantes et généreuses paroles de cette nuit. Quel autre que toi, mon doux bien-aimé, trouverait si bien ce qu’il faut pour consoler une femme en proie au plus affreux découragement ? Qui a ton grand front et ton beau sourire ? Personne. Je ne veux pas que tu te comparesa à aucun homme. Je ne veux pas que pour me convaincre tu te profanes. Je suis bien plus rassurée d’ailleurs en comptant sur ton noble cœur que sur mes charmes fantastiques. Ce n’est pas de ma figure dont tu peux être amoureux mais de mon âme qui est toutb en toi et toute de toi. Mon amour est digne de toi et Dieu lui-même n’en peut pas inspirer un plus grand et un plus pur à ses anges. Quand nous serons morts tous les deux tu verras que de toutes les femmes j’étais vraiment la plus belle puisque j’étais celle qui t’aimait le plus.
J’espère que tu ne seras pas obligé de faire ce voyage [1] car le temps est plus rigoureux que jamais. Mais si tu ne peux pas faire autrement, je te promets d’être courageuse et résignée et de n’avoir aucune amertume dans le cœur. Je t’attendrai avec amour et en priant le bon Dieu de te réchauffer tes chers petits pieds dans la voiture et de te garder de tout mal. Dans tous les cas j’espère que tu viendras m’avertir et que je ne serai pas deux longs jours sans un pauvre petit baiser.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 145-146
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette


13 décembre [1844], vendredi soir, 5 h. ¾

Cher adoré, je t’aime, je suis heureuse, je suis heureuse, entends-tu bien mon amour ? Heureuse malgré ton absence, ce qui me paraîtrait impossible à moi-même si je ne pensais pas à toutes les bonnes paroles d’amour et de tendresse que tu m’as dites cette nuit. Tu as raison, mon adoré, de dire que le bonheur est dans l’action d’aimer et d’être aimé encore plus que dans l’enivrement des caresses et des baisers. Tu as raison ; tu as raison toujours, toi…. et puis moi aussi quelquefois. J’ai raison de te désirer, j’ai raison de ne trouver de joie qu’en toi, j’ai raison de ne vivre que pour toi. N’est-ce pas que j’ai raison, mon Toto ?
Quand te verrai-je mon cher bien-aimé ? J’ai beau être bien heureuse en dedans je voudrais l’être aussi un peu au dehors. Pour cela il ne suffit pas que je t’aime et que tu m’aimes, il faut que je te voie. Te voir c’est comme si je voyais le ciel bleu et le soleil. Sentir ton haleine à travers tes baisers c’est comme si je parfumais mon atmosphère de toutes les plus belles fleurs de la terre. Ça n’est pas indispensablea c’est bien plus que cela ! Aussi je te désire de toutes les forces de mon amour. Il y a des moments où je voudrais être morte pour pouvoir ne pas te quitter. Cher adoré, tu ne peux pas savoir combien tu es aimé par moi. Tout ce que tu peux rêver et désirer de plus impossible n’est rien au prix de mon amour. En attendant que je te voie, je repasse dans mon cœur toutes les admirables et ineffablesb tendresses que tu m’as dites cette nuit. Cela me fera prendre patience.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 147-148
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « indispensables ».
b) « inéffables ».

Notes

[1À la demande de son beau-père, malade, Victor Hugo doit se rendre à Coulommiers chez un notaire pour récupérer un « acte de liquidation ».

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