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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 décembre [1844], dimanche matin, 10 h. ¼

Bonjour mon âme, bonjour mon adoré, bonjour je t’aime. Quand je te verrai, et j’espère que ce sera bientôt, je te le ferai voir ; je te baiserai, je te caresserai, je t’adorerai tant, tant et tant et je serai si heureuse que tu verras bien que tu es ma joie et ma vie. Je te dirai, mon Toto, que je gèle de froid partout ; couchée, debout je grelotte je vais faire faire du feu au poêle pour m’habiller. Je crois que cela tient à l’absence de tapis. Toujours est-il que je ne sais où me fourrer par le froid qui me poursuit. Mais toi, mon pauvre ange, quel froid tu dois avoir la nuit dans ta chambre sans feu ! Quelle imprudence à toi de ne pas en faire faire tous les soirs pour toute la nuit. Je t’assure que ce n’est pas sain et que tu as le plus grand tort de travailler sans feu. Si j’étais auprès de vous cela ne se passerait pas ainsi. Il faudrait bien que vous vous laissiez faire bon gré mal gré quand je devrais vous brûler de plus de feu que je n’en allumerais [1]. Pauvre adoré, je ris avec toi mais je tremble pour toi que tu ne te fassesa mal en travaillant la nuit sans feu. Si tu m’aimais, tu te ferais faire un bon feu le soir très tard et qui pourrait te conduire très avant dans la nuit. Étienne n’est pas là pour des prunes. Je m’aperçois que je suis très peu drôle avec mon grelottage indéfini. Mais je ne me suis pas engagée à l’être non plus. Je ne me suis engagée qu’à t’aimer et je tiens ma promesse plus que tu ne veux j’en suis sûre. Baise-moi et viens bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 127-128
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette


a) « fasse ».


8 décembre [1844], dimanche soir, 11 h. ¼

Je t’écris auprès de mon feu toute déshabillée et toute prête à entrer dans le lit. Je n’avais pas eu le temps de t’écrire avant l’arrivée de Mme Triger et, quoiqua’il soit fort tard, mon bien-aimé, et, que j’aie l’espoir que tu viendras me surprendre au milieu de mon gribouillis je ne veux pas me coucher sans avoir essayé de te grifouiller quelques bonnes tendresses bien bêtes mais bien vraies et bien senties. Dites donc, mon Toto, vous étiez bien beau et bien gros aujourd’hui. Du reste vous le méritez bien et surtout cela vous va très bien. L’habitude que j’ai de vous voir en sylphe fait que je m’habitue difficilement à vous voir en gros homme. Cependant je crois que je m’y ferai peu à peu. Pauvre adoré, je suis bien heureuse de pouvoir rire en toute sécurité de ton enveloppe ; jusqu’ici je n’avais fait que trembler, ce qui ne m’amusait pas du tout. Je suis bien contente de te savoir un peu abrité. Si je pouvais te faire un bon feu toutes les nuits je serais tout-à-fait tranquille. Il suffirait pourtant d’en donner l’ordre à Étienne. J’espère qu’à force de te tourmenter tu en viendras là. En attendant gare les rhumes, les rhumatismesb et les maux de gorge. Baisez-moi mon cher petit gros. Si je suis une vieille rabâcheuse vous êtes un ÉNORME imprudent voilà tout. Je vous aime trop et vous pas assez voilà l’affreuse vérité.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 129-130
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « quoi qu’il ».
b) « rhumatisme ».

Notes

[1Plaisant détournement des vers que Racine met dans la bouche de Pyrrhus dans Andromaque (Acte I, scène 4) : « Je souffre tous les maux que j’ai faits devant Troie, /Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé, / Brûlé de plus de feux que je n’en allumai ».

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