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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 mars 1849

16 mars [1849], vendredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour. Je suis toujours de plus en plus bête et de plus en plus blaireuse. Je devrais te dispenser d’en lire le récit peu attrayant dans mes gribouillis, mais je ne peux pas m’en empêcher. Il me semble que cela me soulage de me plaindre à toi et je passe par-dessus l’inconvénient de t’ennuyer beaucoup pour me faire un peu de bien. Voilà comme je suis généreuse. Je ne sais pas du reste à quoi pense le père Triger de ne pas venir m’arranger le pied [1]. J’enverrai Suzanne chez lui tantôt. Cependant s’il ne vient pas il m’est impossible de prolonger indéfiniment ma détention. D’ailleurs je crois que cela me donne mal à la tête, car voilà trois jours que j’en ai un hideux. Demain donc, s’il n’est pas venu à l’heure où tu vas à l’Assemblée, je t’y accompagnerai. Il n’en sera ni plus ni moins pour mon pied puisque j’en souffre toujours autant, même dans le lit. Et puis cela ne vous regarde pas. Chacun prend son plaisir où il le trouve ; et moi je coursa après comme je peux. Vous aviez un moyen de me faire rester chez moi, c’était de me donner à copier. Vous ne l’avez pas fait, tant pis pour moi, mais j’entends et je prétends reprendre mes jambes à mon cou pas plus tard que demain. Jusque-là je vous baise ardemment.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 47-48
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « courre ».


16 mars [1849], vendredi, midi ½

Plus je vais et plus je regrette de ne pouvoir pas aller avec toi tantôt à l’Assemblée [2]. J’ai un désir et un besoin de reprendre cette douce habitude qui ne peut pas s’exprimer. J’en suis arrivée à une impatience telle que j’en éprouve d’horribles douleurs de tête. D’ailleurs je crois que M. Triger ne se soucie pas maintenant de faire l’office de pédicure. Cependant pour en être plus sûre, j’enverrai Suzanne tout à l’heure avec un mot pour le mettre en demeure de venir ou de refuser nettement.
Pauvre cher adoré, quand je pense que je ne te dis pas autre chose que toutes ces grogneries, j’en suis honteuse pour toi et pour moi. Cependant ce ne serait pas trop pour un amour comme le mien que tout l’esprit et toute la grâce du monde. Mais où les trouver quand on ne les a pas naturellement ? Pour moi je n’en sais rien et je n’y essaye même pas de peur de ne rencontrer que le ridicule et le grotesque. J’aime encore mieux être bête naïvement et platement et ne rien ajouter d’étranger à ma pauvre nature. Et puis je t’aime au-dessus de toutes les belles phrases de l’esprit et mes baisers sur ta belle bouche disent mieux mon cœur que tout le génie du monde. Voilà comme je me console de n’être qu’une pauvre Juju stupide sans éducation et sans bagouta littéraire. Je t’aime à deux genoux et avec toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 49-50
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « bagou  ».

Notes

[1Juliette souffre d’une crise de goutte depuis plusieurs jours.

[2La goutte dont elle est atteinte depuis plusieurs jours contraint Juliette à la réclusion forcée.

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