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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 octobre [1844], samedi soir, 6 h.

Mon petit Toto bien aimé, je te baise, je t’aime, je te désire, je t’attends et je t’adore. C’est ce que je fais tous les jours régulièrement, trop régulièrement même, pour ce qui est de t’attendre. Mais enfin, puisque tu ne peux pas faire autrement, il faut bien que je tâche de me résigner. Mais cela n’est pas facile.
Je viens seulement d’envoyer chercher Claire à présent pour ne pas perdre une seule minute du jour. C’est ce qui fait que je n’ai pas donné l’argent à Eulalie, à cause du petit bout de chemin solitaire qu’il y a de la barrière à la pension. Je crois que j’ai bien fait, n’est-ce pas ?
Mme Luthereau est venue chargée des remerciements de son fils et de son associé M. Seveste [1]. M. Trébuchet a fait un excellent rapport et leur affaire est en très bon train. Elle m’a apporté de la part de M. de Férol un petit bracelet d’argent avec une croix, une ancre et un cœur, tout cela fort laid, et une petite broche en or émaillée encore plus laide. J’espère que Claire sera moins difficile que moi mais, en conscience, c’est fort laid et fort mesquin. Il est vrai que je n’y tiens pas autrement et c’est fort heureux, car le cadeau est médiocre et ne vaut plus la peine d’être fait. Je me suis bien donné de garde de laisser voir ma pensée à Mme Luthereau mais entre nous je n’y fais pas de façon ; et puisque ce monsieur voulait faire des économies sur le premier cadeau, j’aurais mieux aimé qu’il lui donnât un PARAPLUIE dont elle a grand besoin. Le CAS D’EAU aurait été encore plus entier au risque de faire un pléonasme et un calemboura. Mais, grand Dieu, en voilà six cent fois de trop de dit à ce sujet. Tout cela est très bien en sommeb, puisque ce monsieur ne nous doit rien. D’ailleurs, en y pensant, j’aime mieux que les choses soient ainsi. Cela empêchera Claire de se monter l’imagination à l’endroit de la générosité de son parrain, ce qui aurait très bien pu arriver autrement. Je dis cela très sérieusement maintenant.
Ce que je dis encore plus sérieusement, mon Victor adoré, c’est que tu es ma joie et ma vie. C’est que je te dois tout. C’est que je n’existe que depuis que je t’aime, que je ne vis que par toi et pour toi, mon Victor chéri. J’ai dans le cœur un trésor de reconnaissance et d’amour qui ne s’épuisera jamais. Crois-le bien, mon Victor bien aimé, car c’est la sainte vérité. Je baise tes pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 267-268
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « calembourg ».
b) « sommes ».

Notes

[1Les frères Seveste étaient directeurs de théâtre.

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