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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 septembre [1844], dimanche matin, 7 h.

Bonjour, mon Toto, bonjour, mon trop désiré, bonjour. J’ai un fameux arriéré à me payer, aujourd’hui ; gare à vous. Je ne fais que commencer seulement, jugez de ce que ce sera quand j’aurai finia. C’est bien fait d’ailleurs. Pourquoi [est]-ce que vous m’y encouragez et que vous ne me prenez pas au mot quand je vous offre dans mes moments de générosité de garder ma plume pour manger des choux. Maintenant je ne vous fais plus de ces offres insidieuses, au contraire, et je prétends vous inonder de gribouillis jusqu’à extinction d’encre et de chaleur naturelle. C’est bien le moins, mon dieu, puisque je n’ai pas d’autre manière de communiquer avec vous. Je ne me plains pas mais je n’en suis pas plus heureuse pour cela. J’avais compté sur notre petit voyage annuel et vous me retranchez encore ce bonheur-là. Pour peu que vous me retranchiez la moindre chose, il ne me restera plus rien du tout de mon bonheur passé que les regrets et le découragement. Tout n’est pas bien gai, convenez-en. Mais j’ai promis de ne pas tout mettre des grogneries dans ce simple gribouillis. Je m’arrête pour en garder pour les autres, c’est plus adroit et fait durer le PLAISIR plus longtemps. Baisez-moi, mon petit homme, épistolairement puisque les tendresses en nature nous sont absolument impossibles. Baisez-moi encore, vos moyens vous le permettent. Baisez-moi toujours comme cela et je n’en serai pas plus riche.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 175-176
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « finie ».


22 septembre [1844], dimanche soir, 5 h. ¼

Les jours se suivent, mon Toto, et ne se ressemblent pas. Témoin celui d’hier et celui d’aujourd’hui. Hier, nous étions ensemble, nous étions heureux. Aujourd’hui, nous ne nous sommes pas encore vus, c’est bien triste. Pauvre bien-aimé, tu travailles, je le sais bien. Mais cela ne m’empêche pas de te désirer, au contraire. Tu me permets bien d’être malheureuse comme un chien si je ne te vois pas avant le diner ? Et, d’ailleurs, tu ne me le permettrais pas que je ne le serais pas moins. Ainsi, je te conseille de me donner carte blanche là-dessus. Moi, je te la donne pour venir tout de suite, pour rester auprès de moi jusqu’à la fin de mes jours, sans me quitter d’une seconde, et pour m’aimer de toutes tes forces et de tout ton cœur. Je te donne toute latitude à ce sujet, sans jamais vouloir y rien retrancher.
Le temps s’annonce bien mal pour réaliser cette trop attendue et trop désirée partie fine. Quelle que soit ma confiance en tes promesses, je commence à me douter que je n’aurai rien de tout ce bonheur promis depuis six mois. Sans parler de ton portrait et de celui de Claire que j’attends depuis neuf mois ! Je devrais me taire mais la force me manque. J’ai besoin de me soulager en me plaignant à toi de ma mauvaise chance. Car je n’accuse qu’elle de cette continuelle déception. Je sais bien que si cela dépendait de toi, mon cher adoré, tu me donnerais tout ton temps. Je l’espère, du moins, et c’est ce qui me donne le courage de supporter avec une sorte de résignation cette vie d’attente et de désirs non satisfaits. Pense à moi, mon Victor adoré, je le sentirai et cela me fera du bien. Je t’aime, mon Victor adorable, je t’aime plus que jamais et plus que jamais je souffre de ton absence. Je baise tes chers petits pieds roses.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 177-178
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

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