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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 mai 1837

28 mai [1837], dimanche midi.

Bonjour mon cher petit homme adoré. Comment vas-tu ? As-tu un peu reposé cette nuit ? Tu étais bien fatigué hiera. Ce serait bien imprudent à toi de ne t’être pas reposé un peu plus de 3 h. Quantb à moi, ma nuit a été moins mauvaise que je ne le croyais, et n’était un souvenir de mal de tête que j’ai ce matin, je me trouverais très bien. J’ai été très contente de la soirée d’hier et je crois que cette joie n’a pas été pour peu dans ma guérison. Venez mon Toto que je vous baise. Venez mon grand Victor que je vous admire à genoux. Quand je pense à ce que vous êtes, mon grand Toto, je me sens saisiec de crainte et d’adoration comme devant Dieu. Pour vous aimer comme homme, j’ai besoin de vous cacher des pieds à la tête sous mon amour. Et quoique votre tête soit dans le ciel et vos pieds sur la terre, le vêtement dont je m’enveloppe est trop grand et traîne tout autour de vous comme une robe trop longue. Je vous aime mon Toto. J’ai rêvé de vous toute la nuit. Je voudrais bien vous voir afin de comparer la réalité au rêve. Il est probable que je n’y trouverai pas d’autre différence que d’avoir les yeux ouverts, [car je  ?] vous aime autant dormant qu’éveillée. Je vous aime je vous aime je vous aime. Jour mon petit o. Jour mon gros to. À très tôt si vous venez aussi vite que je le désire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 231-232
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « cette hier » (« hier » surcharge « nuit »).
b) « quand ».
c) « saisi ».


28 mai [1837], dimanche, 1 h. après midi.

Oui mon petit Toto, je vous aime. Parce que vous êtes bon, parce que vous êtes beau, parce que je vis, parce que je respire, parce que je vois, parce que j’entends, et que vous êtes l’air de mes poumons, le soleil de mes yeux et la musique de mon âme. Il fait bien beau à présent. Cependant le temps est lourd et je crains qu’il ne pleuve tantôt. J’en serais fâchée car c’est toujours ennuyeux de voir la pluie, surtout après un hiver comme celui que nous venons de passer. Quand dînerons-nous ensemble à la campagne ? Quand, quand, finira mon tourment ? Quand, quand, quand [1] ? Vous savez que vous m’avez permis d’être indiscrète [2], ainsi vous n’avez rien à dire. Jour mon To. Jour mon petit o. Pensez un peu à moi. Je le sentirai si vous le faites et je serai moins seule et moins triste. Jour mon petit homme. Vous allez dire que je dis toujours la même chose. Mais c’est qu’en vérité je n’ai pas autre chose à dire. Je vous aime, voilà pour l’esprit. Je vous aime, voilà pour le cœur. Je vous aime, voilà pour tout à la fois. Tout cela ne fait pas cependant que je n’aie le besoin de vous voir autrement qu’en pensée et de vous embrasser d’autre façon qu’en rêve.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 233-234
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1Allusion au « cancan », qui se pratiquait depuis 1822 dans les bals et cabarets, notamment à la Barrière du Maine, à la campagne, au sud de Paris. Désigné comme « danse épileptique » et indécente (les femmes portant souvent des culottes fendues), le cancan était très mal vu des autorités et des défenseurs de la morale, mais envahit bientôt les théâtres autour de 1830.

[2Le contexte récurrent de l’usage de cet adjectif sous la plume de Juliette laisse à penser que par « indiscrète », Hugo entend ce que nous entendons aujourd’hui dans « coquine ».

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