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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 avril [1849], lundi matin, 7 h.

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour de tous les coins et par tous les bouts à la fois. Comment vas-tu ce matin ? Moi je vais bien, j’ai passé une bonne nuit et je tousse beaucoup moins que tous ces jours derniers. Aussi je m’apprête à vous suivre partout et ailleurs. Cependant j’avoue que si j’avais le choix ce ne serait pas à l’assemblée où j’aimerais à te conduire surtout dans ce moment-ci que le choléra y a élu domicile [1]. Sérieusement, mon petit homme, à ta place je donnerais ma démission et je ne remettrais plus les pieds dans ce lieu malsain que lorsque l’épidémie serait finie. Je t’assure que la patrie n’a rien à gagner, que tu risques ta vie dans cette sentine infecte et moi j’ai tout à y perdre. Si tu m’en croyais et si tu m’aimais un peu tu attendrais aux élections prochaines pour remettre les pieds dans ce cloaque politique et méphitique [2]. Malheureusement, je n’ai aucune influence sur tes actions et sur ton opinion et je n’en suis que plus tourmentée. Je voudrais qu’il arrivât quelques bonnes bousculades qui renversassent toute la boutique et ses 900 COMMIS [3] qui la DESSERVENT. Voilà mon souhait matinal et national. Qu’on se le dise, je ne m’en cache pas, au contraire.

Juliette

MVHP, MS a8184
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


9 avril [1849], lundi matin 11 h.

Plus je vais et moins je suis contente que tu persistes à aller à l’Assemblée. Il me semble que tu pourrais t’abstenir au moins pendant le moment où la maladie y sévit plus qu’ailleurs [4] ? Ce n’est plus du dévouement puisqu’il n’y a aucune question importante à résoudre pour l’instant ; c’est de la pure imprudence. Maintenant que je sais que cette épidémie est très sérieuse je ne pourrai plus être tranquille chaque fois que je te saurai dans cette assemblée. Si tu avais le sens commun tu donnerais ta démission tout de suite. Le gouvernement ne s’en porterait pas plus mal et moi je serais tranquille. Mais à qui est-ce que je parle, mon Dieu, au plus entêté des représentants, au plus intrépide et au plus imprudent des hommes, au plus généreux et au plus imprévoyant des Toto. C’est tout dire et j’en serai pour ma venette de tous les instants tout le temps que durera cet affreux choléra. Ce n’est pas moi qui pourrais vous faire changer de résolution mais je bénirais la POLÉMA quelconque qui serait assez habile pour vous faire renoncer à vos droits politiques pendant quelque temps. Cher petit homme bien aimé, mon amour béni, sois prudent. Ne reste pas enfermé dans cette salle trop longtemps, je t’en prie. Ne risque pas sans nécessité ta vie qui est ma vie. Je t’en supplie, mon Victor adoré. Ne ris pas avec ce fléau qui n’est que trop réel et ne dédaigne aucune des précautions qui peuvent t’en garantir. Je t’en supplie encore au nom de mon bonheur.

Juliette

MVHP, MS a8185
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

Notes

[1De mars à septembre 1849, l’épidémie de choléra fait plus de seize mille morts.

[2Victor Hugo sera élu le 13 mai aux élections législatives.

[3L’Assemblée nationale compte 900 représentants.

[4L’épidémie de choléra sévit à Paris depuis mars.

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