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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 mars 1845

14 mars [1845], vendredi matin, 11 h.

Je me réfugie dans ta loyauté, mon adoré, et je me dis pour me donner du courage et de la résignation que tu es incapable de me tromper. Mais, mon Dieu que c’est long et triste le temps où je ne te vois pas. Je me suis couchée cette nuit à 1 h. du matin. Il me semblait impossible que tu ne viennes pas. Hélas ! il a bien fallu me rendre à l’évidence. Ce matin, je t’attends. Serai-je plus heureuse que cette nuit ? Toi seul le saisa, mon cher amour, mais ce que tu ne sais qu’imparfaitement, quelle que soitb la connaissance que tu aies de mon cœur, c’est le besoin inexprimable que j’ai de te voir.
Comment vas-tu, mon Toto chéri ? Que devientc ton mal de gorge dans tout ça ? Tu laisses encore une fois perdre du très bon raisin que je t’avais fait acheter. Il vaudrait mieux pourtant, puisque tu ne peux pas le manger chez moi, l’emporter chez toi et te rafraîchird le sang en en mangeant toutes les nuits.
Mon Victor bien aimé, jamais tu ne sauras assez combien je t’aime et quelle preuve je t’en donne dans cette vie de continuelle attente. Quand nous serons morts tous les deux, tu sauras que d’efforts il m’a fallu faire sur moi pour réduire ma nature à cette stérile inaction. En attendant, je baise tes chères petites mains pour les réchauffer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 187-188
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « le sait ».

b)« quelque soit ».
c) « deviens ».
d) « raffraîchir ».


14 mars [1845], vendredi après-midi, 3 h.

Je viens de faire ce que tu m’as dit, mon Toto, j’ai recherché la date du dernier acompte de 500 francs donné à M. Phaffenauffen [1], c’est le 15 avril 1843. J’ai fait en outre le relevé de ce qu’il y a à payer, sauf réduction et sans compter le mémoire de Jourdain. Cela se monte à 445 francs 10 sous. Je ne comprends que trop, mon pauvre bien-aimé, comment il se fait que tu n’as pas une minute à donner à mon amour et à mes caresses. Je me demande, la position étant donnée, si cela vaut bien la peine que tu te tuesa à travailler et que je languisse dans la plus agaçante des inactions pour un si menu résultat ? Je ne blasphème pas l’amour en parlant ainsi, du moins je n’en ai pas l’intention, Dieu le sait. Mais vraiment, est-ce bien la peine d’être l’homme le plus sublime de tous les temps et la femme la plus passionnément amoureuse qu’il y ait jamais eu pour se voir cinq minutes toutesb les 24 heures ? Pour moi, je ne le pense pas. Je trouve que le bonheur te vole à toi ton dévouement surhumain et à moi mon amour le plus tendre pour ne rien nous donner du tout en échange. Que faire ? Hélas ! voilà une question à laquelle je n’ai pas le courage de répondre, quoique je me la fasse depuis longtemps déjà. Mon Victor adoré, tu trouves ta récompense dans ton dévouement et dans bien autre chose encore. Mais moi, je n’ai rien. Quand tu me manques, tout me manque et je ne me reconnais pas le droit de vivre. Je suis bien malheureuse, mon Victor, je t’aime trop. Le bon Dieu n’est pas juste de me donner plus d’amour que mon cœur n’en peut contenir. Je sens que je t’obsède en te parlant ainsi et je ne peux pas me retenir. Pardonne-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 189-190
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu te tue ».
b) « tous ».

Notes

[1À identifier.

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