Guernesey, 9 mai 1858, dimanche après-midi, 4 h. ½
J’allais t’écrire il y a quelques instants, mon cher bien-aimé, quand les Préveraud sont entrés chez moi au grand complet. Ils venaient chercher leur beurre et j’ai profité de l’occasion pour leur faire mon invitation pour mercredi en huit. Ils l’ont acceptéea conditionnellement parce qu’ils attendent Mme Terrier et Préveraud dans le courantb de ce mois-ci. Quant à moi, je suis en règle vis-à-vis d’eux quoi qu’ils ou elles arrivent ou n’arrivent pas. Je voudrais bien que vous fussiez dans le même cas vis-à-vis de moi ; mais, hélas ! j’ai grand peur que vous ne m’oubliiez tout à fait et que le jour de ma fête arrive bien longtemps avant mon pauvre manuscrit. Cependant votre salon est fini [1] et vos femmes sont REVENUES en bonne santé, aussi belles et aussi bonnes que lorsqu’elles sont parties à Paris. Ce serait donc bien le cas de songer un peu à moi maintenant. Cependant, je n’ose plus t’en parler que par l’organe de la restitus dans la crainte de t’impatienter ; car à tout prendre, j’aime mieux RIEN que TOUT au pris d’un ennui pour toi. C’est ce qui fait que je n’ai pas osé te demander de m’aider dans la rédaction d’une lettre pour Vilain [2] et pourtant Dieu sait si je tiens à ravoir ce pauvre médaillon si douloureusement cher de ma pauvre fille. Je tâcherai de lui écrire à tête reposée dès que je le pourrai et je chargerai Mme Lanvin de savoir son adresse aux Beaux-Arts ou à l’Institut. En attendant, je t’aime, mon Victor et je fais tout ce que je peux pour ne pas t’ennuyerc de moi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16379, f. 97-98
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
a) « accepté ».
b) « courrant ».
c) « ennuier ».