20 avril 1872

Paris, 20 avril [18]72, samedi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher adoré, bonjour à ton âme endormie si, comme je l’espère, tu dors encore ; bonjour à toi tout entier, cœur, corps et âme, si tu es déjà réveillé. Je viens de lire la table de L’Année terrible dont presque tous les titres me sont inconnus et me font croire que tu m’as donné à mon insu quelque collaboratrice mystérieuse et superfine plus alerte que moi, sans parler d’autres avantages que toi seul peux apprécier et que ma discrétion m’empêche d’approfondir. Ma réserve ne va pas cependant jusqu’à ne pas te remercier de ton beau cadeau, en mon nom d’abord, en ceux de Louis [1], de Luthereau et de Lanvin en attendant qu’ils te remercient eux-mêmes dès qu’ils sauront l’honneur et le bonheur dont tu les as comblés. Je suis bien contente et bien heureuse pour toi, mon grand bien-aimé, de l’apaisement qui se fait autour de toi. J’espère qu’avec un peu de patience tu arriveras à une conciliation parfaite et générale. Personne mieux que toi ne s’entend à résoudre les questions les plus épineuses et les plus délicates, aussi je suis bien tranquille pour celle-ci depuis que je vous ai vus tous à l’œuvre hier soir. Il ne reste que moi qui ne trouve pas son compte dans toute cette justice distributive, à moins que tu ne me prouves que ce soit par faveur et pour me faire honneur et bonheur que tu m’as adjoint sournoisement un collaborateur anonyme. Jusque là, je me considère comme lézée, lézée, parfaitement lézée^a, comme feu la pauvre M^me Triger de vertueuse mémoire.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 108
Transcription de Guy Rosa

a) L’orthographe fautive est vraisemblablement volontaire.