10 février [1845], lundi soir, 10 h. ¼
Je ne me coucherai pas, mon adoré, avant de m’être mise sous la protection de notre amour. C’est ton souvenir que j’invoque à défaut de ta personne. J’espérais, et j’espère encore, que tu viendras ce soir. Aussi, toute épuisée et toute fatiguée que je suis, je trouve encore des forces et du courage pour t’attendre.
C’en est fait, mon adoré, de cette pauvre maison de bonheur. Me voici définitivement installée dans la nouvelle. Dieu veuille que nous y soyons aussi longtemps heureux que dans celle que je quitte avec tant de regretsa. Tu as bien fait, mon adoré, par reconnaissance pour les neuf années d’amour et de bonheur que nous avons euesb dans cette petite maison, d’y aller une dernière fois lui dire adieu. Je t’en remercie du fond du cœur comme d’une bonne et sainte action. Maintenant, je voudrais que tu vinssesc consacrer celle-ci tout à l’heure. Il me serait triste d’y passer la nuit avant d’avoir reçu ton bonsoir tendre et béni. Je regarde l’heure à la pendule et je commence à craindre que tu ne viennesd pas. Ce serait bien inaugurer cette belle chambre et je crois que je ne m’en consolerais pas. En attendant que tout espoir soit perdu, je vais prier le bon Dieu de t’envoyer bien vite à moi afin que je passe une bonne petite nuit et que je me trouve bien heureuse demain matin, quand je me réveillerai.
Je baise tes chers petits pieds pour les faire venir plus vite.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16358, f. 83-84
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « de regret ».
b) « nous avons eu ».
c) « tu vinsse ».
d) « tu ne vienne ».