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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 août [1848], jeudi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, avare, bonjour, filou, bonjour, voleur, bonjour, PAUVRE, bonjour, je t’aime mais je regrette ma pièce [de] quarante sous. Je la regretterai toujours, voilà mon opinion. Une autre fois je ne vous ferai plus crédit, c’est trop chanceux, surtout maintenant que la contrainte par corps est abolie [1]. Hélas ! que ne l’est-elle aussi abolie par COR : je ne serais pas aussi inquiète ce matin de savoir comment me transporter jusqu’à la Madeleine. La coupure s’est envenimée et enflammée et à l’heure qu’il est mon bas même me fait un mal horrible et toute ma jambe est douloureuse. Cependant j’irai, quand je devrais y arriver à quatre pattes. Je ne suis pas assez bête pour épargner mon pied aux dépensa de mon cœur. Tant pire pour lui mais je veux aller vous trouver et j’irai. D’ailleurs les omnibus ne sont pas faits seulement pour les toutous et les représentants du peuple. Les Jujus peuvent en user quand leurs moyens le leur permettent. Les munis sont à la hauteur de la pièce [de] quarante sous dontc vous m’avez flouée. C’est ce qui fait que j’en use immodérément et que je vous baise et vous aime de même.

Juliette

BnF, Mss NAF 16366, f. 269-270
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « au dépend ».
b) « Les muni ».
c) « que ».


17 août [1848], jeudi matin, 10 h.

Je me dispose à aller te trouver, mon bon petit homme, mais ça n’est pas sans un frémissement d’horreur en pensant qu’il faut que je me chausse. Je suis pourtant bien courageuse, mais la douleur est si vive que je ne veux pas en triompher. Il n’y a que le désir et la joie de te voir qui soient assez forts pour me faire mépriser mon bobo. Aussi dès à présent je ne tiens plus aucun compte de mon mal et je le jette à COR perdu dans mon brodequin. Il se tirera de là comme il pourra, cela ne me regarde plus. Baisez-moi, vous, et rendez-moi mon argent tout de suite. J’ai vu hier la pauvre mère de Corot et son père. La pauvre femme veut suivre son fils absolument. Du reste elle m’a avoué qu’elle était séparée de corps et de bien de son mari depuis 18 ans, ceci avant que son mari ne soit chez moi. Elle n’a pour toute fortune à elle que 2000 francs. Son mari a à peu près une centaine de mille francs mais elle craint qu’il ne veuille rien faire pour son fils. C’est pour cela qu’elle me priait de le voir pour lui parler à ce sujet, ce que j’ai fait avec empressement. Je lui ai dit qu’il fallait qu’elle consultâta un homme de loi pour savoir quels étaient les droits que son fils pouvaitb avoir dans la position où il se trouve. Du reste le mari m’a paru bien disposé pour son fils et très touché des efforts que tu avais fait pour le sauver [2]. Voilà, mon petit homme, avec la visite de Mme Guérard, l’emploi de ma soirée hier. Et puis je t’aime sans envers, en long et en large, en avant et en arrière par tous les bouts et dans toutes les directions.

Juliette

BnF, Mss NAF 16366, f. 271-272
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « consutat ».

Notes

[1La contrainte par corps a été abolie le 19 mars 1848.

[2Au lendemain des journées de juin 1848, Victor Hugo et un grand nombre de représentants du peuple entreprennent un véritable combat contre les arrestations de masse, les condamnations et déportations orchestrées par le général Cavaignac. Nommé vice-président d’une réunion de députés venus pour visiter les détenus de juin, Victor Hugo est intervenu durant le mois de juillet 1848 en faveur d’un grand nombre de prisonniers, menacés d’exécution ou de déportation.

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