26 juin [1848], lundi après-midi, 1 h. ½
Je viens de recevoir tes deux lettres à la fois, mon tout adoré, te dire avec quelle passion, avec quelle frénétique tendresse je les ai lues serait impossible [1]. Je me suis enfermée dans ma chambre, j’ai fermé les persiennes pour pouvoir me livrer sans contrainte à la joie folle qu’elles m’inspirent et cependant mon Dieu ce n’est pas encore toi. Et pourtant tout est encore en question. Le faubourg Saint-Antoine ne veut pas se rendre et les faubourgs du Temple et de Ménilmontanta tiennent toujours [2]. Tout à l’heure on a porté sur un brancard le corps d’un capitaine de la garde mobile. Je ne peux pas te dire comme la vue de cet homme sous le linceul m’a impressionnéeb. Il n’a fallu rien moins que tes deux adorables lettres pour me le faire oublier. Merci, mon Victor, merci d’avoir pensé à moi dans un moment si terrible, merci aux deux anges auxquelsc tu me recommandes, et sous la protection desquelles je t’ai mis, merci à Dieu qui t’a protégé. Ô Dieu soyez béni tout est fini. Je vais revoir mon pauvre adoré bien-aimé, plus de massacres plus d’horreurs tout est fini. On vient de crier dans la rue que le faubourg s’était rendu. Quel bonheur je vais te revoir ! Je n’aurai plus à trembler pour ta vie, je n’entendrai plus cette effroyable fusillade quel bonheur ô mon Dieu, mon Dieu, soyez bénis. Ô mes pauvres anges du ciel souriez-moi je suis heureuse et je pleure. Je vais te voir, je vais te voir.
Juliette
MVH, 7796
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
a) « Ménil-montant ».
b) « impressionné ».
c) « auquels ».