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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 mai 1848

22 mai [1848], lundi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon adoré bien-aimé, je t’envoie mon bonjour tout imprégné d’amour et de tendresse. Je veux qu’il t’arrive comme un doux rêve pleina de parfums et de rayons. Je n’ai pas pu revenir hier au soir, mon adoré, je ne te demande pas les pourquoi ? car ils doivent être nombreux et variés. Ce que je sais c’est que je ne me suis couchée qu’à minuit espérant que tu viendrais par la porte du jardin et ce n’est qu’à grand peine que j’ai renoncé à cette chance en mettant les verrousb à cette heure-là. Que fais-tu aujourd’hui ?
Tu sais qu’Eugénie et M. Vilain doivent venir manger les RESTES du festin d’hier [1]. Il n’est guère possible que je sorte parce que je pense qu’Eugénie viendra consulter le médecin à 2 heures et de là chez moi ! Mais ce qu’il y a de sûr c’est que rien ne pourra m’empêcher de rester avec toi seul tout le temps que tu pourras me donner. Je ne suis pas femme à faire deux jours de suite le sacrifice de mon bonheur. C’est beaucoup trop d’une seule fois. N’oublie pas que tu m’as promis une bonne petite culotte et tâche de me la donner bien vite. En fait de bonheur j’aime mieux un bon tiens que deux tu auras. D’ailleurs je suis payée pour savoir ce que valent les promesses indéfiniment ajournées. Aussi je ne serai heureuse que lorsque tu m’auras donné ma culotte.

Juliette

MVH, 8096
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « pleins ».
b) « verroux ».


22 mai [1848], lundi midi

Pense à moi, mon bon petit homme et tâche de venir tout de suite. Je t’attends avec toutes les joies, toute la reconnaissance et tout l’amour que ta ravissante lettre a fait épanouir en moi depuis hier. Je voudrais être ta mère pour avoir le droit de te bénir. Je voudrais être ta sœur pour avoir la gloire d’être de ton sang, je voudrais être ta femme pour avoir l’honneur d’être ta servante, je voudrais être roi pour te donner mon trône, je voudrais être Dieu pour te combler de tous les bonheurs de ce monde. Mais je ne suis qu’une pauvre femme qui t’aime à deux genoux avec dévouement, admiration et passion. Tout ce qu’un cœur peut éprouver d’ineffable, de tendre, de sublime et de divin, je l’éprouve pour toi. Ton sourire me ravit, ta douce voix éveille en moi des harmonies célestes que rien ne peut exprimer, tes baisers font jaillir de tout mon être une voluptueuse électricité qui embrase mon âme. Pour moi vivre c’est t’aimer, être aimée de toi, c’est le bonheur. Le jour où tu ne m’aimeras plus tout sera dit en ce monde pour moi. Tu ne sais pas, mon adoré bien-aimé, à quel point ce que je te dis là est vrai, mais le bon Dieu le sait bien et c’est lui que je prends à témoin pour te le prouver le jour où tu en aimeras une autre que moi. Si j’en crois ton adorable lettre [2] ce jour n’arrivera jamais et je veux la croire et je la crois, je la baise et je t’adore.

Juliette

MVH, 8097
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

Notes

[1La veille, Juliette Drouet a célébré la Sainte-Julie comme chaque année à cette date.

[2Comme chaque année pour sa fête, Juliette Drouet a reçu une lettre de son amant. Hugo y a écrit : « Cher doux ange, ma première pensée est pour toi. Je t’écris de mon lit en m’éveillant. Je commence ma journée comme je finirai ma vie, en t’envoyant mon âme. / J’entends le tambour, tout le quartier est en rumeur, il fait le plus beau soleil du monde, Paris se donne une fête, mais la vraie fête est dans mon cœur quand je songe à toi. […] » (édition de Jean Gaudon, ouvrage cité, p. 132.)

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