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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 janvier [1846], dimanche matin, 10 h. ½

Bonjour mon Toto, bonjour mon petit homme, bonjour toi je t’aime. Je suis levée depuis longtemps, nous avons déjeuné et Clairette est déjà à son métier et moi je commence le mien en t’aimant, en te désirant, en t’attendant dès le matin. Comment vas-tu mon cher petit bien-aimé ? As-tu bien dormi cette nuit ? M’avez-vous été bien fidèle de corps, de cœur et de pensée ? Vous n’avez pas rêvé Danemark, cheveux blonds, Martin du Nord [1], yeux noirs et autre [Rogier ?] de même calibre ? C’est que vous aviez l’air très disposé cette nuit à vous coucher en nombreuse compagnie. Moi je l’étais encore plus à me tourmenter et à être très jalouse. Aussi mes rêves s’en sont très fort ressenti et m’ont réveillée de très bonne heure. Voilà, mon cher petit homme le bulletin de mes pensées et de ma nuit. Je voudrais bien avoir le vôtre et être bien sûre de ce qu’il en était.
J’ai expliqué à Claire ce matin pourquoi je ne voulais pas qu’elle veillât plus tard que minuit puisqu’elle était obligée de se lever à six heures du matin et à 7 heures le dimanche. Je ne veux pas que cette pauvre enfant s’imagine que je veux la priver du plaisir de te voir et d’un autre côté je veux qu’elle comprenne la nécessité de ne pas provoquer ses maux de tête puisqu’elle est obligée de travailler en rentrant chez elle. Je veux que tu le comprennes aussi, toi, mon cher petit bien-aimé, et que tu ne m’accuses pas de cruauté quand je n’ai que de l’amour et de la bienveillance dans le cœur. Et puis je te baise et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 55-56
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


18 janvier [1846], dimanche après-midi, 4 h. 

Tu m’assures que tu n’es pas contrarié, mon adoré, et je tâche de le croire pour ne pas obscurcir la petite fête que je donne à toute cette jeunesse. Cependant je t’ai trouvé l’air bien soucieux et bien préoccupé. Je sais que tu travailles, mon pauvre bien-aimé, et qu’il n’y aurait rien que de naturel à ce que tu eusses l’air fatigué, mais tu m’as habituée à te voir malgré cela toujours si riant et si maître de toi, que je suis toute troublée quand par hasard tu me parais fatigué. C’est ta faute, pourquoi m’as-tu gâtée à ce point de ne pouvoir pas supporter la moindre petite ombre sur ton beau visage rayonnant ? C’est votre faute, c’est votre faute, c’est votre très grande faute. Baisez-moi et riez tout de suite, je le veux, je l’ordonne. Tu m’as promis de revenir tout à l’heure mon bien-aimé, me tiendras-tu parole ? Si tu veux, je ne veux pas que tu écrives dans cette chambre qui est humide et glacée. Depuis un moment que je suis là, il me semble que je suis dans un bain froid. On ne peut pas se figurer à moins d’y être, l’humidité et la fraîcheur de cette petite chambre dans laquelle cependant on fait énormément de feu tous les jours. C’est une expérience qui me vaudra plusieurs millions de rhumatismes, les uns sur les autres. Je peux dire ce que je t’attribuais tout à l’heure : c’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute. Pourvu qu’il n’y ait que moi qui en subisse les conséquences. Ce ne sera que juste et je ne me plaindrai pas trop haut. Je t’aime, je t’attends, je t’adore, je te baise.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 57-58
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Martin du Nord, Ministre de la Justice et des Cultes, dans le troisième ministère Soult de 1840 à 1847.

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