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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 janvier [1846], samedi matin, 10 h. ½

Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour mon Victor chéri, bonjour ma joie, bonjour mon âme, je ne sais pas quand je te verrai mais je sais que ma pensée ne te quittera pas d’ici au moment où je te prendrai dans mes bras.
Cher bien-aimé, voilà une journée qui va nous paraître bien longue à tous jusqu’à ce que ce pauvre Charlot soit revenu. J’espère qu’il aura écrit tout de suite à l’issue de son examen [1] et que vous recevrez sa lettre quelques heures avant son arrivée. Pourvu qu’il ne se soit pas troublé. Je voudrais être plus vieille de deux jours et même de deux ans si cela pouvait donner le succès à ce cher petit homme. Aujourd’hui vous serez tous douloureusement distraits de la pensée par la mort de cette pauvre jeune femme. Quand ces choses-là arrivent je voudrais me mettre entre vous et aller pour vous empêcher de les voir et de les sentir. Mon Toto, mon bien-aimé, mon cher amour, ma vie pense à moi et viens me voir dès que tu le pourras. Je t’attends, je te désire et je t’adore. J’ai reçu une lettre de Brest [2] qui en contenait une autre pour M. Alboize. Je l’ai fait mettre à la poste bien entendu. Du reste ma lettre ne contient que des cordialités de jour de l’an et des protestations affectueuses pour l’avenir. J’ai reçu hier la carte de visite de M. et Mme Marre. Peut-être ferais-je bien de lui faire une petite visite à elle, le plus tôt possible. Tu me diras cela toi mon cher petit guide et je ferai ce que tu croiras le plus convenable. Je serais bien heureuse si tu pouvais me donner à copier [3]. Il y a déjà bien longtemps que tu me l’as promis. Il est vrai que tu es si occupé que tu n’as pas une minute pour chercher ce que je dois copier. Aussi je ne t’en veux pas mais je désire bien fort que tu aies un moment pour me chercher et me donner cette bien heureuse copie, d’ici je te baise et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 29-30
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


10 janvier [1846], samedi soir, 6 h. ¾

Vous avez voulu m’humilier tout à l’heure en me contestant le titre de fonctionnaire, fonctionnaire toi-même, Pair de France que tu es. D’ailleurs mes moyens me permettent de payer mes ports de lettres sans avoir recours à des moyens indignes d’une vraie patriote et d’une courageuse citoyenne. Mets ça dans ton Journal et ton mouchoir par-dessus, ça ne s’enrhumera pas du cerveau. Hélas ! te voilà déjà parti, mon adoré, et tu emportes avec toi ma joie et mon bonheur. Je reste seule et triste au coin de mon feu, encore si je n’avais pas mal à la tête, mais je souffre ce soir, à croire que ma pauvre cervelle est gâtée. Je n’ai le courage de rien. Si j’osais je me coucherais sans dîner, si je m’écoutais je me laisserais aller à un abrutissement définitif. Je suis complètement abasourdie, pourtant je sens bien que si tu étais auprès de moi, tout cela se dissiperait bien vite, mais la pensée que je ne te verrai pas avant minuit, au plus tôt, fait que je me laisse tomber jusqu’au fin fond de ma migraine. J’en ai le droit puisque je n’ai que cela à faire. J’oublie tous les jours de te demander de l’argent. Aussi, depuis le 1ᵉʳ janvier je prends à même le sac en ayant soin d’inscrire ce que je prends au fur et à mesure. Délicate attention, cependant j’aimerais mieux que tu me donnasses l’argent dont j’ai besoin toi-même ; c’est pour cela que je prends le parti, quoiqu’un peu tard, de t’en demander au moment que j’y pense. Ce soir je l’oublierai encore probablement. Baise-moi mon petit Toto et n’accuse que toi de mon inutilité sur cette terre. Si tu l’avais voulu je serais la plus active des fonctionneuses, sinon des fonctionnaires, ………. si vous le vouliez. Baisez-moi et riez tout de suite. Je le veux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 31-32
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Charles Hugo était parti à Rennes pour passer un examen, auquel il aura réussi.

[2La sœur de Juliette, Renée, vit à Brest avec son époux, Louis Koch.

[3Juliette tient comme un honneur et vit cette activité utile à Victor Hugo comme un plaisir.

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