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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 février [1848], jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon doux adoré, bonjour, mon bien-aimé, bonjour de la pensée, des lèvres, de l’âme et du cœur. Merci des douces et adorables choses que tu as misesa cette nuit dans mon livre rouge [1]. Je les ai lues, relues, baisées une à une, depuis je les répète dans mon cœur avec un sentiment de reconnaissance et d’adoration qu’aucune expression ne pourrait rendre.
Je ne veux pas que tu sois triste, mon bien-aimé, car dans le fond de mon âme je suis sûre que ton pauvre Charlot ne tardera pas à revenir à la raison. Plus les folies de ce genre sont aiguës et moins elles durent. Tu verras que je suis une bonne SORCIÈRE et que je t’ai bien prédit ce qui doit arriver. Mais pour que ma prédiction ne soit pas entravée par aucune mauvaise influence il faut que tu ne t’en défie pas et que tu ne sois pas triste, mais pas du tout, du tout, du tout. Sans cela ma prophétie serait retardée, et ce qui serait très bête, par ta faute. Mon Victor aimé, mon Victor bien aimé, je ne peux pas supporter la pensée que tu souffres. Cela me paraît monstrueusement injuste surtout quand je vois ta bonté ineffable, ton dévouement et ton abnégation si généreux pour tout et pour tous. Aussi il me semble impossible que le bon Dieu ne fasse pas disparaître tout de suite le petit désordre qui t’afflige et t’inquiète pour l’avenir de ton cher enfant. Désordre auquel aucun homme de son âge ne se dérobe mais qui chez ces natures élevées comme la sienne ne dure pas. Je baise tes pieds avec adoration et je demande au bon Dieu de nous emporter ensemble dans le même souffle.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 71-72
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
[Pouchain]

a) « choses que tu as mis ».


17 février [1848], jeudi soir, 6 h.

Je t’ai regardé aller sous la porte et dans la première cour, mon adoré, et je t’ai vu tourner du côté opposé à celui que nous avons pris ensemble l’autre fois. J’aurais voulu donner des ailes à mon âme pour te suivre au-delà de la portée de ma vue. Je voudrais être l’air qui te caresse et que tu respires et ne jamais te quitter. Te voir, mon beau et doux bien-aimé, c’est le paradis. Mais aussi dès que tu n’es plus là tout me devient indifférent et il me semble que je n’ai plus le courage de vivre. Je suis revenue en pensant à toi, mon pauvre cœur inquiet et plus je pensais à toutes les choses tristes qui te tourmentent et plus il me semblait qu’elles ne seraient pas ce que tu crains. Ton fils t’aime trop et est trop bien né pour rester plus longtemps dans une position indigne du nom qu’il porte et te causer un vrai et sérieux chagrin. J’attends de lui qu’il prendra dès ce soir une bonne résolution et qu’il la tiendra. Est-ce qu’on peut te résister, mon divin bien-aimé ? Tout ce que tu demandes est si juste et tu le demandes avec une si puissante et si irrésistible autorité qu’il est impossible à ceux qui ont le bonheur de t’aimer et d’avoir même l’intention de s’y soustraire. J’attends tout de ta conversation ce soir avec ce cher enfant. Tâche de venir m’embrasser avant de te coucher. Et surtout, Ô mon adoré, sois heureux autant que tu es aimé et béni par moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 73-74
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Chaque année, Victor Hugo célèbre l’anniversaire de leur première nuit dans le livre rouge, où Juliette Drouet collecte l’hommage cérémonial du poète : « La vie est sombre autour de moi, je me repose dans notre doux et rayonnant souvenir. Ma tristesse s’évanouit devant notre amour ; je me dis au fond de l’âme : c’est un effet de soleil. / Quand je te sens près de moi, je suis calmé et je me trouve heureux ; et après cette joie profonde, et, en même temps qu’elle, j’ai deux douceurs ineffables, t’apercevoir dans mon passé, te contempler dans mon avenir ! / Je prie Dieu tous les soirs et nos anges qui sont au ciel, et je demande que tu sois là aux heures où je souffre, que tu sois là à l’heure où je mourrai. / Je t’aime, ce qui veut dire : je te bénis ! » (Pouchain, ouvrage cité, p. 88.)

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