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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 décembre [1847], lundi matin, 8 h. ¾

Bonjour, mon cher adoré, bonjour mon pauvre doux bien-aimé, bonjour, bonjour, bonjour. Ne te lève pas. Malgré le plaisir que j’aurais à te voir, j’aime mieux que tu te reposes et que tu ne t’exposes pas dès le matin à ce hideux froid noir tout chargé de brume et de rhumes. Donc, mon adoré, repose-toi, je le veux, je t’en prie et je l’exige.
Ne t’inquiète jamais de mes tristesses, mon bien-aimé, elles font partie de moi-même et rien ne peut désormais les en arracher. Ne t’en inquiète pas car ton amour est une ancre jetéea dans le fond de mon cœur et qui y retient la vie. Mes malheurs me viennent de Dieu, mon bonheur me vient de toi et jusqu’à présent tu as été le plus fort. Je t’aime encore plus que je ne suis malheureuse. Tant que je me sentirai aimée de toi, je vivrai et je te bénirai. Tu vois bien qu’il ne faut pas t’inquiéter, puisque tu es le maître absolu de mon sort.
Si je peux sortir tantôt, je le ferai pour t’obéir. Mais l’heure est si peu opportune pour moi qu’avec toute ma bonne volonté, il me sera difficile de réussir à en profiter. Tandis que, d’une à trois heures, cela me serait plus commode. Jusqu’à présent tu n’es jamais venu plus tôt que ça, et encore, en passant, rien que pour baigner tes yeux. Je te le dis pour que tu saches bien que ce n’est pas parti pris chez moi de ne pas faire ce que tu veux, mais impossibilité, à moins de me gêner beaucoup dans mon intérieur, ce qui serait une manière peu avantageuse de faire de l’exercice aux dépensb de mon bien-être casanier. Si je dis des bêtises battez-moi mais ne grognez pas. Je vous dis que vous êtes mon amour.

Juliette

MVH, α 8025
Transcription de Nicole Savy

a) « jeté ».
b) « au dépend ».


27 décembre [1847], lundi midi

Tu n’es pas venu ce matin et tu as bien fait, mon adoré bien-aimé, il faisait un froid de loup et rien n’est plus malsain que de sortir de ce temps-là à jeun. D’ailleurs, ce n’est pas à l’heure où tu te couches qu’il est bon de se lever de bonne heure. C’est moi, Juju, qui te le dis. Quant à moi, les jours sont si courts que je ne trouve pas le moyen de faire le peu d’affaires que j’ai. Je suis toujours en retard, témoin aujourd’hui encore, où je n’ai pas commencé à me débarbouiller et où rien n’est fini chez moi. Cependant je me lève de bonne heure, huit heures. Donc à moins de se lever à la chandelle, on ne peut pas se lever plus tôt. Tu vois que je te donne le bon exemple ? Profites-en pour te dorlotera dans ton lit. C’est une mauvaise besogne que celle qui use la santé et la vie. Il vaut mieux, à tout prendre, aller moins vite et durer plus longtemps, à la manière du proverbe italienb [1]. Je vais me dépêcher de faire mes affaires pour être libre de te recevoir et de copier à côté de toi tantôt.
J’ai encore oubliéb mon fameux pot de confiture hier au soir [2]. Je ne veux pas l’apporter dans la chambre parce qu’il y fait trop chaud et j’ai si peu de mémoire que je l’oublie toujours. Cependant je veux que tu le manges, c’est une idée que j’ai comme cela. À moins que tu n’en aiesc chez toi de pareille, ce qui ne vaudrait plus la peine de l’emporter. Baise-moi toi je t’aime et vous ?

Juliette

MVH, α 8026
Transcription de Nicole Savy

a) « dorlotter ».
b) « ytalien ».
c) « oublier ».
d) « ais ».

Notes

[1« Chi va piano va sano » : proverbe italien signifiant « qui va lentement va sûrement ».

[2Il s’agit de gelée de pommes qu’Eugénie lui a rapporté de Rouen.

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