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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 décembre [1847], dimanche matin, 10 h.

Bonjour, mon Toto, bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon pauvre petit piocheur. Je t’aime et vous ? Comment que ça va ce matin ? J’envoie mon âme te visiter et te recommander de te ménager un peu si c’est possible. J’espère te voir de bonne heure aujourd’hui et je me fais une joie d’avance de t’installer auprès de mon feu. Je te demande pardon de me coucher comme je le fais le soir pendant que tu travailles. Cela tient à ce que je n’ai pas la force de résister au sommeil qui me vient toujours à la même heure quand je ne parle pas. C’est plus fort que moi. J’ai beau m’agiter sur ma chaise je ne peux pas en triompher. Il me faudrait marcher ou parler ou mieux encore copier. Jamais il ne m’est arrivé d’avoir envie de dormir en copiant. Aussi je me réserve de garder cette ressource pour le moment où je me sentirai somnolente. Justement le temps de la digestion sera passéa, ce qui me donnera toute facilité. Voilà mon projet pour l’avenir car je ne veux pas perdre une seule goutte de ta présence et de cette façon j’y réussirai. Je vous dis que vous êtes mon Toto. J’ai encore bien des choses à faire aujourd’hui dans mon taudis. Il faut que je me dépêche beaucoup pour n’être pas en retard quand tu viendras. On ne peut pas se figurer à combien de petits détails intérieurs mon temps se passe. Heureusement qu’il n’est pas autrement précieux et que je peux m’en donner à discrétion. Pourvu que je sois prête quand tu viens, voilà tout ce que je demande.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 280-281
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « passer ».


12 décembre [1847], dimanche après-midi, 2 h.

Je ne pourrai pas encore sortir aujourd’hui, mon Toto chéri, et tu ne t’en étonneras pas, sachant tout ce que j’ai eu à faire pour remettre mon ménage sur pied [1]. Je te promets de faire, dès cette semaine, la petite promenade hygiénique que tu me recommandesa dans mon intérêt. Seulement il faut encore un peu de patience, denrée dont tu es abondamment pourvu. J’en aurais bien besoin dans ce moment-ci pour attendre la venue de M. Thomas [2]. Je crains bien d’être obligée de l’attendre encore longtemps, ce qui ne fait pas le compte de mon impatience et de ma curiosité. Cependant je suis très résolue à ne pas commettre d’indiscrétion et à ne pas aller au devant de lui autrement qu’en pensée et en désir. Je suis bien trop honnête femme pour cela et puis je sais que cela te fâcheraitb et rien que cette pensée m’empêcherait de retourner seulement le coin de la plus petite feuille de papier. Je suis très bien dressée comme tu vois, mon cher amour. Je suis pareille aux caniches qui portent le gigot de leurc maître sans y toucher. Je veille avec la plus vigilante et la plus tendre sollicitude sur ton buvard mais je me ferais un cas de conscience d’en soulever même la couverture [3]. Je ne dis pas cela pour me vanter, QUOI QU’IL Y AIT DE QUOI, mais pour te rassurer et pour t’inspirer le désir de m’en récompenser bien vite en me [lisant  ?] un petit peu de Thomas.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 282-283
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « recommande ».
b) « fâcherais ».
c) « leurs ».

Notes

[1La veille, Juliette Drouet a eu des ouvriers chez elle, d’où ce surcroît de travail domestique.

[2Le M. Thomas dont Juliette « attend la venue » est un personnage de Jean Tréjean, Thomas Telmau, qui deviendra Thomas Pontmercy puis enfin, en 1848, Marius Pontmercy, l’une des figures majeures des Misérables (le mari de Cosette).

[3Le 3 novembre 1847 déjà, Juliette Drouet évoquait sa tentation d’aller lire la suite de Jean Tréjean dans le buvard de Victor Hugo. Il s’agit d’un portefeuille qui contenait des papiers buvard, où l’écrivain rangeait ses feuilles manuscrites pour les sécher. En février 1848, Victor Hugo, qui poursuit la rédaction des Misères, première version des Misérables, écrit le chapitre du roman qui deviendra « Buvard, bavard », où Jean Valjean découvre les amours de Marius et Cosette en lisant une lettre à l’envers sur le buvard, cette fois simple papier, de la jeune fille. Est-ce de Juliette que lui vient le paradigme troublant du déchiffrement clandestin dans ou sur le buvard ?

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