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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 octobre [1847], vendredi matin, 9 h.

Bonjour mon bon, mon beau, mon doux, mon grand, mon noble et toujours plus cher adoré, bonjour. Me voici revenue de ma terre promise, le cœur gros de regrets, d’amour et de reconnaissance car il ne faudra rien moins [1] qu’une année tout entière pour avoir le pareil bonheur [2]. Mais je sais que tu m’as donné tout ce que tu pouvais et je t’en remercie du fond de l’âme et avec un redoublement d’amour. J’ai repris aujourd’hui, sans respect pour la superstition du VENDREDI, mon petit train-train de douces habitudes. Je t’écris en commençant ma journée. Cependant je conserve le charmant espoir de déjeuner avec toi encore ce matin. Mais je ne le désire qu’à la condition que rien de triste n’en sera la conséquence pour toi et les tiens. J’espère et je désire de toute mon âme que ce retard ne soit qu’une prudente précaution pour ne pas aggraver une légère indisposition. Aussi, mon Victor adoré, je t’attends avec une tendre impatience. J’en hâte le moment de tous mes vœux. La journée est encore bien belle aujourd’hui et le voyage de ta famille ne pourra qu’être doux et agréable. Pour moi je refais en pensée tout le chemin que nous avons fait depuis huit jours. Je pourrais presque compter les pommes du chemin, les pulsations de la machine à vapeur du chemin de fer, les coups de fouet du conducteur de coucous. Je pourrais retrouver, à un baiser près, tout ce que j’ai semé de pensées d’amour sous les rayons du soleil, dans les fleurs de la route, dans tout ce que tu voyais et qui te plaisait. J’aurais voulu te donner aux dépensa de ma vie tout ce que tu souhaitais. Enfin j’ai vécu dans ce petit espace de temps touteb une vie complètec de joie, de bonheur et d’extase. Merci, mon Victor, merci, mon doux bien-aimé. Merci autant de fois que je pense à toi, que je voudrais te baiser et que je t’aime.

Juliette

MVH, α 7983
Transcription de Nicole Savy

a) « au dépend »
b) « tout une vie ».
c) « complette ».


8 octobre [1847], vendredi, midi ½

Il paraît, mon doux adoré, que tu aurais trouvé toute ta famille revenue hier au soir ou qu’elle est arrivée ce matin puisque tu n’es pas venu déjeuner ? Je t’en félicite car tu devais être un peu tourmenté. Maintenant j’espère que tu es tranquille et que tout le monde va bien chez toi ? [3] Dans cette pensée, je renfonce ma petite déception pour ne te laisser voir que mon amour et le contentement de te savoir heureux sans moi.
Je n’ai pas osé fouiller dans ton album rouge pour y prendre ma copie, dans la crainte de te contrarier. Quant tu viendras, tâche que ce soit bientôt, tu me donneras MON OUVRAGE. En attendant je vais achever de faire MON MENAGE et de débrouiller mon arriéré de journaux. Ce ne sera pas le plus amusant. Je ne connais rien de moins appétissant qu’un journal ranci. Cependant il faudra bien que j’en vienne à bout. Je te demande pardon de mon stupide assoupissement hier au soir, mais voilà l’effet que me fait la presse en général et tous les journaux en particulier passé une certaine heure le soir. C’est fort bête et fort maussade de leur part et de la mienne, surtout quand tu es là. Aussi je m’en veux et je leur en veux et je nous tire la langue avec fureur. Pardonne-moi tout de même et aime-moi encore mieux pour la peine. Je t’assure que je le mérite bien.

Juliette

MVH, α 7984
Transcription de Nicole Savy

Notes

[1Au sens de « rien de moins ».

[2Victor Hugo et Juliette Drouet ont quitté Paris le 30 septembre pour un petit voyage qui les a menés à Mantes, Les Andelys puis à Caudebec le 3 octobre, d’où Hugo a rejoint sa famille à Villequier.

[3Après Victor et Juliette, la famille Hugo est rentrée de Villequier à Paris. Mais la tranquillité supposée du poète ne va pas durer : après son fils, c’est Adèle Hugo qui a contracté la typhoïde.

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