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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er août 1841

1er août [1841], dimanche matin, 11 h. ¼

Bonjour mon adoré petit Toto, bonjour le plus doux, le plus beau, le plus mignon, le plus charmant, le meilleur, le plus grand et le plus admirable des hommes. Bonjour, je t’aime, je suis folle de toi.
Tu sauras, mon amour, qu’il y a bien longtemps que je suis levée mais que j’ai voulu terminer tous mes arias du matin et laisser faire le frotteur pendant que je déjeunais pour être tout à toi et pour copier tout à l’heure sans être dérangée la feuille que tu m’as apportéeacette nuit [1]. À propos de cette nuit, je te dirai qu’il m’est arrivé un incident ou plutôt un ACCIDENT grotesque dont je suis encore toute humiliée. Je te dirai cela en détails tout à l’heure quand je te verrai. Au reste j’ai la bouche si remplie d’aphtesb depuis plusieurs jours que je peux à peine manger du pain parce qu’il m’écorche la bouche. Ceci est déjà une explication de mon aventure de cette nuit. Ce sera d’ailleurs une bonne aventure pour toi car elle te servira plus d’une fois à couvrir tous les écarts de ton imagination en délire mais PAIX…
Tout cela ne m’empêche pas d’avoir les plus jolies fleurs du monde et les mains les plus terreuses de l’univers. Je les ai encore piochées tout à l’heure pour m’assurer qu’il n’y avait pas de chaux et à ce propos j’ai constaté que la sensitive n’est sensible qu’à l’ombre et au soleil elle reste impassible comme le cavalier à pied tournant le dos à son cheval. Voici un fait dont je suis sûre : je la tripote au soleil elle ne bouge pas, je la touche ou seulement j’en approche la persienne tirée elle ferme ses feuilles et laisse tomber ses branches [2]. Mais ce que je sais encore mieux, c’est que je vous aime de toute mon âme à l’ombre comme au soleil, la nuit comme le jour. Je vous adore mon Toto chéri, je t’aime mon Victor.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 105-106
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « apporté ».
b) « affetes ».

Notes

[1Il s’agit probablement de l’hymne pour l’inauguration de la statue de Napoléon à Boulogne, daté du 30 juillet, commandé à Hugo par la Garde nationale de Boulogne. La cérémonie se déroulera le 16 août 1841, mais le texte politiquement trop tendancieux ne sera ni lu ni chanté. Il sera publié dans l’édition 1893 de Toute la Lyre. « Les sept cordes, I.XXXII ».

[2Juliette constate ici deux phénomènes particuliers à la sensitive, pas encore tout à fait expliqués par la botanique. Le premier est que ses feuilles alternes et ses rameaux ont la particularité de se replier au moindre choc ou intempérie (d’où son nom), le second est que c’est une espèce nyctinastique qui ferme ses feuilles la nuit.

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